Alors que les athlètes olympiques ont l’expérience de l’effort et de la quête de la perfection, de la réussite et de l’échec, de la mobilité et des voyages, de la diversité du genre humain, on profite de leur fragilité professionnelle et de leur statut de jeunes adultes pour leur refuser le droit de s’exprimer et de s’associer pour défendre leurs intérêts. Pourquoi, et depuis quand, les dieux et déesses du stade ne seraient-ils que des demi-citoyens et des demi-citoyennes ?
Dans l’entre-deux-guerres, les athlètes qui se sentaient discriminés dans le cadre olympique ont pu faire le choix de participer à des contre-Jeux féminins, ouvriers et juifs. De leur côté, les dirigeants du Comité international olympique (CIO) n’ont pas sanctionné le salut fasciste des Italiens à leur entrée dans le stade olympique en 1924, ou les saluts nazis sur les podiums des Jeux de Berlin en 1936. Ce fut bien différent à Mexico en 1968 lorsque Tommie Smith et John Carlos ont levé leurs poings gantés de noir sur le podium du 200 m, et à Munich en 1972 pour Wayne Collett. Les trois furent exclus sans qu’une telle sanction figure dans la Charte olympique.
Craignant une contagion des revendications noires et tiers-mondistes, le CIO a adopté en 1976 sa première règle de l’apolitisme qui, dans la forme actuelle de la règle 50.2 de sa charte, décrète qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande, politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». Mais que faut-il entendre par « neutralité politique » ? Le CIO ne l’a jamais précisé, probablement pour mieux faire reposer une épée de Damoclès sur la tête des athlètes. Est-il interdit de plaider en faveur de la reconnaissance d’une nation comme Etat ? En faveur de la paix ? En faveur des droits humains ?
Redoutant que les athlètes olympiques ne s’organisent en syndicats, et également déterminé à utiliser le ressentiment de nombre d’entre eux – en raison du boycott des Jeux olympiques de Moscou (1980) –, le président espagnol du CIO Juan Antonio Samaranch a invité pour la première fois en 1981 une trentaine d’athlètes à venir s’exprimer dans un congrès olympique. A Baden-Baden (Allemagne), ils eurent droit à vingt minutes d’expression sur les trois journées de débats. Puis, sur le modèle du corporatisme en vigueur dans le gouvernement de Franco auquel il a appartenu, M. Samaranch a installé une commission des athlètes en choisissant ses premiers membres pour servir sa politique.
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