Réchauffement climatique : quand les glaciers, « châteaux d’eau de l’humanité », disparaîtront…

En 2100, la moitié des glaciers pourrait avoir disparu sous l’effet du réchauffement. Leur fonte va remodeler le visage de la planète. Dans les Alpes, les glaciologues ont déjà vu le paysage changer.

Le quatrième plus grand glacier de France, Tré-la-Tête, aux Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), a évolué sous l'effet du réchauffement climatique, laissant apparaître de nouveaux paysages. MaxPPP/imageBROKER/Edwin Stranner
Le quatrième plus grand glacier de France, Tré-la-Tête, aux Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), a évolué sous l'effet du réchauffement climatique, laissant apparaître de nouveaux paysages. MaxPPP/imageBROKER/Edwin Stranner

    Lorsqu’on demande au glaciologue Jean-Baptiste Bosson de nous citer l’exemple d’un glacier des Alpes qu’il a vu changer en l’espace de moins d’une génération, il évoque d’emblée celui de Tré-la-Tête aux Contamines-Montjoie (Haute-Savoie). « En vingt ans, la fonte a été si rapide que le paysage a été modifié et il n’est parfois plus le même d’une année sur l’autre », observe ce chercheur du Conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie.

    C’est que le quatrième plus grand glacier de France est, comme son illustre voisin la Mer de Glace, un malade en sursis. Rien qu’entre 2014 et 2016, Tré-la-Tête a perdu 3,2 m d’épaisseur sur l’ensemble de sa surface. Soit l’équivalent de 6 000 piscines olympiques ! Alors que ses variations de longueur sont suivies depuis plus de 100 ans, Tré-la-Tête figure parmi les 166 glaciers de référence sur Terre, alimentant les données du World Glacier Monitoring Service.

    « L’humanité ne pourrait pas vivre sans glacier »

    Si Jean-Baptiste Bosson s’inquiète à ce point de la fonte accélérée de ce géant des Alpes, c’est que, comme les 210 000 glaciers de la planète, il influence « nos conditions de vie sur Terre ». Disponibilité en eau potable, rôle d’amortisseur du changement climatique… « L’humanité ne pourrait pas vivre sans glacier », résume le chercheur qui a coordonné une étude sur le sujet, dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature.

    Alors que la moitié des glaciers du monde pourrait avoir disparu d’ici 2100, à cause de la hausse du mercure mondial, les chercheurs rappellent à quel point ils sont cruciaux. « La moitié de l’humanité dépend des ressources en eau qui proviennent des montagnes, explique le professeur d’écologie à l’université Savoie Mont-Blanc Jean-Christophe Clément. Sans eux, il y aurait partout sur la planète de gros problèmes d’alimentation des fleuves et des rivières. »

    Le lac Léman par exemple est alimenté par le glacier du Rhône et fournit 80 à 90 % de l’eau potable consommée dans le canton. « Les glaciers sont clairement les châteaux d’eau de l’humanité », résume le professeur d’écologie. Sans eux, il n’y aurait pas suffisamment d’eau dans le Rhône, par exemple, pour irriguer les terres autour du fleuve, refroidir les sites nucléaires ou faire tourner les centrales hydroélectriques.

    Les glaciers limitent la hausse de la température

    Ces immenses réservoirs de glace, de neige et d’eau au sommet des montagnes ont par ailleurs un rôle majeur dans le cycle climatique. « Ils ont pour effet de rafraîchir le climat local et peuvent avoir un impact, comme dans la chaîne de l’Himalaya, sur les masses d’air et d’eau transportés dans l’atmosphère, ajoute Jean-Christophe Clément. On sait en tout cas qu’en les perdant au rythme actuel, on aura beaucoup plus de mal à lutter contre l’accélération du réchauffement climatique ».

    Car les glaciers jouent un rôle tampon face à la hausse du mercure, grâce à la neige et la glace qui les recouvre et a tendance à réfléchir les rayons du soleil. « Plus les glaciers fondent, moins cet effet albédo (la capacité de la surface des glaciers à réfléchir l’énergie solaire) fonctionne », souligne Jean-Christophe Clément.

    90 % de la surface des glaciers fondus a déjà laissé place à des massifs de feuillus, des forêts de conifères et des affleurements rocheux. « Quand la montagne est mise à nu, petit à petit le sol se développe et la végétation gagne du terrain, explique Jean-Baptiste Bosson. En l’espace de 50 ans, les photos aériennes en attestent, les Alpes sont moins blanches et les montagnes ont à la fois verdi et bruni. De nouvelles forêts, des zones enherbées mais aussi des rivières et des lacs sont apparus là où jadis se trouvait le front des glaciers ».

    De nouveaux lacs vont apparaître dans les Alpes

    En Suisse, par exemple, on estime que plus de 1 000 lacs se sont formés entre 1850 et nos jours. Et au rythme actuel de réchauffement de la planète, les chercheurs estiment que des centaines de nouveaux lacs apparaîtront dans les Alpes. « À l’échelle de la planète, 50 000 à 250 000 nouveaux lacs pourraient voir le jour » calcule le glaciologue.

    Il y a enfin un scenario que les chercheurs n’osent même pas imaginer tellement il serait cauchemardesque : celui d’une disparition totale des glaciers de la planète. « S’ils fondaient tous, on estime que le niveau des océans s’élèverait de 66 m, prévient Jean-Baptiste Bosson. Ce qui redessinerait la totalité des zones littorales de la planète. L’immense défi qui est devant nous est de les sauver. Les perdre serait une catastrophe pour l’humanité et l’ensemble du globe en serait chamboulé. »