Menu
Libération
Les voix de l'Europe (13/27)

Elections européennes aux Pays-Bas : face à l’extrême droite, les partis centristes s’inquiètent

Elections européennes 2024 dossier
Dossiers liés
La possibilité d’un glissement à l’extrême droite de l’échiquier européen alarme les modérés néerlandais. Surtout après le triomphe du parti populiste de Geert Wilders aux législatives de novembre 2023.
par Thijs Broer, journaliste pour Vrij Nederland
publié le 11 mai 2024 à 14h41

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Depuis que Geert Wilders a remporté une importante victoire avec son parti populiste d’extrême droite, le Parti pour la liberté (PVV), lors des élections législatives néerlandaises de novembre, l’Europe a les yeux rivés sur les Pays-Bas. Son succès est-il un prélude à ce qui pourrait advenir lors des élections européennes ? A l’inverse, les partis centristes néerlandais observent le reste de l’Europe avec inquiétude : les populistes d’extrême droite vont-ils également l’emporter dans d’autres Etats membres ? La probabilité que le PVV fasse partie du gouvernement a déjà fait sa première victime à Bruxelles. En janvier, le député européen néerlandais Malik Azmani, membre du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD, centre droit), était fortement pressenti pour prendre la tête du groupe Renew Europe au Parlement européen. Mais les négociations entre le VVD et le PVV dans l’optique de former un gouvernement n’ont pas été vues d’un bon œil par les libéraux : Azmani a été contraint de retirer sa candidature pour ce rôle influent sous la pression de ses collègues français du parti Renaissance, la formation du président français Emmanuel Macron. «S’il y a un risque que la situation aux Pays-Bas provoque des divisions au sein du groupe libéral, je ne me sens pas à l’aise pour me porter candidat», avait-il alors expliqué.

Il n’y a pas si longtemps, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, déclarait triomphalement que l’Union européenne était plus forte que jamais. Dans son discours annuel sur l’état de l’Union en septembre 2023, la dirigeante allemande a fièrement mis en avant les réussites de la Commission européenne depuis son entrée en fonction en 2019 : l’émergence d’une Europe «géopolitique» puissante face à la menace russe, le Pacte vert pour l’Europe en tant que «cœur de notre économie» et des progrès significatifs dans la transition numérique. L’Europe, a soutenu Ursula von der Leyen, est unie pour répondre à «l’appel de l’Histoire».

Optimisme évanoui

Cependant, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose de cet optimisme. Le soutien à l’Ukraine commence à vaciller presque partout en Europe et le Green Deal, la politique phare de la Commission européenne, a été considérablement édulcoré ces derniers mois.

Les élections européennes de juin jettent une ombre sur l’avenir. Les sondages d’opinion dans la plupart des pays européens suggèrent un glissement vers la droite et l’extrême droite, au grand dam des partis établis. En Slovaquie, le gouvernement de Robert Fico se range de plus en plus ouvertement du côté de l’incendiaire Viktor Orbán, qui a montré à plusieurs reprises depuis des années qu’il était capable de prendre en otage le processus décisionnel en cours à Bruxelles. Au Portugal, les sociaux-démocrates ont été battus début mars par l’Alliance démocratique de centre droit et Chega, le parti d’extrême droite, a remporté une victoire inattendue.

En France, Emmanuel Macron peut sentir le souffle de Marine Le Pen dans son cou. En Allemagne, l’inefficace Olaf Scholz est confronté à la montée de l’Alternative für Deutschland (AFD, extrême droite), qui est déjà le troisième parti le plus populaire du pays, selon les sondages.

Aux Pays-Bas, le PVV dirigé par Geert Wilders, de loin la formation la plus importante depuis les élections législatives de novembre, travaille actuellement à la formation d’un gouvernement avec le VVD (centre droit), le parti sécessionniste chrétien-démocrate Nouveau Contrat social (NSC, centre droit) de Pieter Omtzigt et le Mouvement agriculteur citoyen (BBB, centre droit), une émanation du mouvement de contestation des agriculteurs.

Sous la pression de ceux-ci qui protestent dans une grande partie de l’Europe, les démocrates-chrétiens européens se sont également opposés à la loi sur la restauration de la nature de la Commission européenne, qui, selon toute vraisemblance, ne sera pas adoptée en conséquence. En partie en réponse à la campagne acharnée menée par les agriculteurs, y compris au cœur de Bruxelles, la Commission et les Etats membres ont décidé, fin mars, de faire une série de concessions qui devraient faire échouer les projets des Verts. Il s’agit notamment de ne plus rendre obligatoire le fait de laisser des parcelles de terrain en friche et d’exempter les petits exploitants agricoles des contrôles.

Caprice populiste

Pendant ce temps, l’ancien commissaire européen Frans Timmermans, l’un des principaux défenseurs du Green Deal et de la loi sur la restauration de la nature, est contraint d’assister à la disparition de son héritage depuis les bancs de l’opposition.

Dans les médias européens, la révolte contre la politique environnementale est considérée comme un signe avant-coureur de ce qui attend l’Europe dans d’autres domaines, tels que l’immigration, le soutien à l’Ukraine et la poursuite de l’élargissement de l’Union que Von der Leyen appelle de ses vœux avec tant de passion – mais que la plupart des partis populistes considèrent comme profondément problématique. La grande question qui se pose aujourd’hui est la suivante : les craintes d’un glissement à l’extrême droite de l’échiquier européen sont-elles justifiées ?

Si la large victoire de Geert Wilders aux élections législatives néerlandaises de novembre a provoqué un choc dans plusieurs Etats membres de l’UE, le chef de file du PVV se heurte à toutes sortes d’obstacles dans les négociations visant à former le nouveau gouvernement, que personne ne souhaite voir victime d’un caprice populiste. Au cours des négociations, Wilders a déjà dû accepter de ne pas devenir Premier ministre et a été contraint de faire une série de concessions en faveur du maintien des droits constitutionnels.

Dans les mois à venir, il devra également s’engager à mener une politique financière et étrangère solide – en d’autres termes : continuer à soutenir l’Ukraine – si le nouveau cabinet néerlandais veut avoir une chance de devenir une réalité. D’autres exemples ailleurs en Europe soulèvent également des questions sur la montée «inexorable» du populisme d’extrême droite. En décembre 2023, l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk, a été élu Premier ministre de Pologne, mettant ainsi fin aux années de règne du parti eurosceptique Droit et Justice (PiS, extrême droite), au grand soulagement de ses alliés européens.

Agriculteurs émeutiers

En Espagne, le Parti populaire et les sociaux-démocrates sont en tête des sondages et les petits partis sont à la traîne. En Hongrie, des dizaines de milliers de citoyens sont récemment descendues dans la rue pour protester contre l’administration de Viktor Orbán et se prononcer en faveur de son concurrent électoral, le pro-européen Péter Magyar.

La montée surprenante du BBB aux Pays-Bas, sous l’impulsion des protestations des agriculteurs, a également suscité l’inquiétude d’autres pays européens, comme si les agriculteurs émeutiers avaient conquis le cœur de la démocratie. Pourtant, la philosophie du nouveau parti diffère très peu de la démocratie chrétienne traditionnelle, tout comme celle du NSC d’Omtzigt. Une évidence qui ressort clairement du choix des candidats des deux partis pour les élections européennes de juin, auxquelles ils se présentent pour la première fois : leurs candidats sont presque exclusivement d’anciens démocrates-chrétiens, y compris leurs têtes de liste.

En outre, de nombreuses études ont montré au fil des ans que le succès des partis populistes n’est pas tant déterminé par ces partis eux-mêmes que par la volonté des partis traditionnels du centre de prendre au sérieux les préoccupations des électeurs sans renoncer à leurs propres principes.

Voilà la grande question qui planera sur la formation d’un gouvernement aux Pays-Bas et sur les élections européennes de juin : les partis traditionnels se laisseront-ils guider par la peur de la menace d’une révolte populiste, ou parviendront-ils à camper sur leurs positions ?

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique