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Interview

Ours tué dans les Pyrénées : «Il faut que Macron rencontre la population»

Alors que la justice enquête sur la mort par balles d'un ours en Ariège, la présidente socialiste du conseil départemental, Christine Téqui, appelle la population à l'apaisement et le chef d'Etat à la concertation.
publié le 11 juin 2020 à 9h56

Un geste inédit en France depuis plus de trente ans, hors accident de chasse. Un ours a été retrouvé mardi tué par balles sur la commune d'Ustou, en Ariège, et une enquête a été ouverte pour destruction d'espèce protégée (l'auteur des faits, encore inconnu, risque 150 000 euros d'amende et 3 ans de prison). Christine Téqui, présidente (PS) du conseil départemental de l'Ariège, en poste depuis cet hiver, redoute que surviennent un «autre drame» et des «affrontements» dans la population.

Un ours abattu, hors période de chasse, sans suspect identifié : comment en est-on arrivé là ?

C’est une catastrophe qu’on redoutait depuis des années. Je ne cautionne pas cette violence. Ce ne sera jamais une solution. Chacun connaît la loi et je laisse la justice suivre son cours. Pour autant, je regrette que nos populations aient été plongées dans le silence. L’Etat ne nous entend pas. Les éleveurs et bergers sont désemparés par la récurrence des attaques d’ours sur les troupeaux et des bilans très lourds. 1200 animaux ont été tués dans le département l’an passé, dont 250 lors du dérochement d’Aston, où une prédation avait déjà eu lieu quatorze ans plus tôt. Ce n’est pas anodin. La population est excédée.

Aviez-vous alerté les pouvoirs publics sur les risques d’un braconnage ?

Très régulièrement, mais sans obtenir de réponse. L’an passé, nous étions 103 élus à manifester devant la préfecture de région, à Toulouse. Mon prédécesseur, Henri Nayrou, avait déjà alerté les ministres. Nous envoyons des courriers à l’Etat et à ses représentants. Mais nous parlons dans le vide.

Le gouvernement a lâché du lest sur les indemnisations de bétail. Il conteste moins le fait qu’il s’agisse de prédations d’ours et il a augmenté les seuils. Est-ce un premier pas ?

On ne peut pas réduire ce sujet extrêmement sensible à une question financière. Les indemnités sont un droit comme pour toute personne assurée contre des accidents. Elles sont d’ailleurs loin de couvrir tout le préjudice subi par un éleveur. Je n’aime pas non plus cette idée selon laquelle, parce que les pastoraux seraient dédommagés, ils n’auraient pas le droit de râler. L’argent n’achète pas tout.

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Ce mois-ci, la réponse était une nouvelle fois financière, avec une rallonge de 500 000 euros annoncée pour la protection des troupeaux : équipement des cabanes de berger, construction d’enclos, main-d’œuvre supplémentaire et formée (les «bergers d’appui»), etc. Que pensez-vous de ces mesures ?

Ce sont celles que l’Etat nous propose depuis quelques années et elles n’ont pas empêché les attaques. Il serait préférable de revenir aux propositions des assises du pastoralisme en 2017. Deux pistes principales avaient émergé. D’une part, la création de zones de cantonnement sur le territoire pyrénéen. L’ours ne pourrait être présent que dans certains espaces, par exemple dans le parc national. A charge pour l’Etat de veiller à ce qu’il ne franchisse pas les frontières pour prédater les zones de bétail situées en dehors. D’autre part, nous proposions de renforcer les «retraits».

Qu’est-ce que «retirer» un ours ?

C’est respecter le protocole dit d'«ours à problème».

Le dispositif, jamais appliqué jusqu’à sa phase ultime, prévoit d’équiper l’ours d’un collier GPS et, en cas d’échec, envisage de l’abattre…

S’il faut le faire en dernier ressort, alors suivons ce protocole.

Faut-il remplacer l’ours retrouvé mort cette semaine par la réintroduction d’un nouvel individu, venu par exemple de Slovénie, comme les textes le prévoient et comme les associations de défense de l’environnement le demandent ?

Je ne pense pas que ce soit une priorité. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a environ 55 spécimens dans les Pyrénées. Le cycle de reproduction des ours est suffisant pour compenser la perte tragique de cet ours.

L’ours peut-il constituer un atout touristique pour l’Ariège ?

Pas à ma connaissance. Les touristes viennent plutôt en Ariège pour les espaces naturels et le patrimoine hors du commun.

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Etes-vous anti-ours ?

Je ne crois pas en cette binarité «pro» ou «anti». En tant qu’élue de terrain, j’ai été très sensibilisée à la question d’une cohabitation difficile, pour ne pas dire impossible, entre l’ours et les pastoraux. J’ai moi aussi écrit aux représentants de l’Etat pour demander des solutions. En tant que maire de Seix, comme d’autres homologues, j’ai été mal comprise lorsque j’ai pris un arrêté interdisant la divagation de l’ours sur la commune. Evidemment, il ne fallait pas prendre le texte au pied de la lettre mais s’interroger sur la responsabilité du partage du territoire. C’est à l’Etat de garantir que l’activité humaine ne soit pas menacée par l’ours, que les troupeaux ne soient pas en danger… ni les promeneurs.

Avec la tuerie de cet ours, on a cependant l’impression que le débat, déjà radicalisé, a atteint un point de non-retour.

Je redoute maintenant que cette violence gagne les hommes entre eux. Il faut de l’apaisement et de la concertation. Je suis inquiète. Le monde de l’agropastoralisme demeure très fragile. Il y a un décalage entre le vécu de l’ours en Ariège et sa perception par les autorités de l’Etat qui s’inscrit dans une vision très romantique de Winnie l’ourson.

A quand remontent ces tensions ?

Au tout début. Avant même le programme de réintroduction des années 90, l’Etat a imposé l’ours et n’a jamais entendu les populations locales, qui ne l’ont jamais souhaité ni accepté.

Qu’attendez-vous de l’Etat ?

Qu’il n’y ait plus d’autre drame. De toute urgence, il faut que le président Macron noue le dialogue. Il doit se rendre sur place pour rencontrer les élus et la population, et consigner des engagements par écrit.

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