Les séries de Pierre-Luc Dubois doivent servir de mise en garde au Canadien

Apr 20, 2023; Las Vegas, Nevada, USA; Winnipeg Jets left wing Pierre-Luc Dubois (80) warms up before the start of game two of the first round of the 2023 Stanley Cup Playoffs against the Vegas Golden Knights at T-Mobile Arena. Mandatory Credit: Stephen R. Sylvanie-USA TODAY Sports
By Marc Antoine Godin
Apr 30, 2023

L’entraîneur-chef des Jets de Winnipeg, Rick Bowness, n’a pas facilité la tâche de son directeur général, jeudi soir, quelques minutes après l’élimination de son équipe. Dans un bref et mordant point de presse qu’il regrette un brin, Bowness a dit en substance que ses meilleurs joueurs n’avaient offert aucune résistance pour empêcher qu’ils ne s’inclinent en cinq matchs face aux Golden Knights de Vegas.

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Pierre-Luc Dubois, celui dont on prédit l’arrivée à Montréal depuis près d’un an, fait partie du noyau des Jets. Il est l’un de leurs deux meilleurs joueurs de centre et il ne fait aucun doute qu’il était l’un des joueurs visés par les affirmations de son entraîneur-chef.

« C’est la même merde qu’on voyait en février, a déploré Bowness en parlant du jeu de son équipe. Dès qu’on s’est mis à se battre pour la première place et que les autres équipes nous attendaient de pied ferme, on a cessé de répliquer. »

Bowness fait référence à un point de bascule qui, ironiquement, origine d’une défaite de 4-1 au Centre Bell face au Canadien, le 17 janvier dernier. À partir de ce moment, les choses se sont mises graduellement à déraper pour les Jets, qui venaient de s’emparer du premier rang de l’Association Ouest. Durant une glissade qui a duré près de deux mois, entre le 17 janvier et le 8 mars, les Jets ont affiché un dossier de 7-12-2. Ç’a failli leur coûter une place en séries éliminatoires.

Voici à quoi a ressemblé la production des principaux joueurs des Jets durant cette séquence :

Les Jets entre 17 janvier et le 8 mars
JoueurPositionPJBAPTS
D
21
7
12
19
C
21
10
8
18
AG
21
6
11
17
AD
21
4
12
16
AG
21
2
10
12
D
21
1
6
7
C
17
4
2
6

Auparavant, Dubois avait amassé 49 points en 44 matchs, une récolte qui lui a permis d’atteindre des sommets personnels cette saison malgré sa déconfiture en deuxième moitié de calendrier.

Durant la série de premier tour face aux Golden Knights, Dubois n’est pas redevenu le joueur qu’il était en première moitié de saison. Le trio qu’il formait avec Kyle Connor et Mark Scheifele a certes été dominant lors d’une victoire de 5-1 dans le premier match, mais les choses sont gâtées par la suite. Il a mis son équipe dans le pétrin dans le troisième match en écopant trois pénalités et il n’a eu aucun impact dans le cinquième affrontement, alors que les Jets se battaient pour leur survie.

On ne doit pas en conclure qu’en dépit de son style de jeu, Dubois n’est pas taillé pour les séries. En 2019-20, entre autres, il avait connu des séries retentissantes dans l’uniforme des Blue Jackets de Columbus.

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Mais en ce qui a trait à cette saison, lorsque Bowness relie les ennuis de mi-saison au rendement des Jets en séries, les contre-performances de Dubois ressortent comme un dénominateur commun.

Non, Bowness n’a pas facilité la tâche de son DG Kevin Cheveldayoff, car les Jets arrivent à la croisée des chemins. Le gardien étoile Connor Hellebuyck et les attaquants Scheifele et Blake Wheeler deviendront tous les trois joueurs autonomes sans compensation à la fin de la prochaine saison, alors que Dubois, qui doit retourner à la table de négociations cet été, a déjà fait savoir qu’il ne signerait pas d’entente à long terme à Winnipeg. Peut-être a-t-il changé d’idée, mais sa situation contribue à faire en sorte que le glas a probablement sonné pour ce noyau de joueurs qui, aux yeux de Bowness, ne se lève pas quand ça compte.

Ce n’est pas normal qu’un centre de 24 ans aux allures d’attaquant de puissance, capable de produire sans problème une soixantaine de points par année, soit conspué de la sorte et que les fans de Winnipeg, frustrés de le voir aussi dominant qu’inconstant, fulminent en ce moment. C’est le genre de joueur qu’on devrait vouloir garder à coup sûr, le genre d’ingrédient rare qui est cohérent avec la création d’une équipe gagnante.

Il y a beaucoup de spéculation qui est née de son refus, l’année dernière, de signer une entente à long terme avec les Jets et des aveux de son agent, Pat Brisson, à l’effet qu’il aimerait jouer pour le Canadien.

« C’est vrai, il y a beaucoup de choses fausses qui circule, beaucoup de monde disent qu’ils ont entendu ceci ou cela, a dit Dubois aux médias de Winnipeg, samedi. En fin de compte, je n’ai rien dit, je n’ai rien fait. C’est juste de la spéculation. Je n’ai pas encore pris de décision. On vient de perdre, notre saison s’est terminée il y a deux jours à peine. Les gens ont spéculé toute l’année quand rien de neuf n’arrivait. Les gens ont spéculé sans arrêt. Je ne peux pas empêché ça. Mais comme j’ai dit, ne me suis pas encore arrêté à penser à tout ça. »

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Est-ce que les récentes séries de même qu’une deuxième moitié de saison à intensité variable devraient ôter le goût au Canadien de faire l’acquisition de Dubois? Je ne crois pas. Mais il commence à y avoir plusieurs signaux suggérant que l’équipe devrait y penser à deux fois avant de lui dérouler le tapis rouge.

Si le désir fondamental de Dubois est bel et bien de porter l’uniforme tricolore, le Canadien ne peut pas ignorer ce sentiment qui est rarissime chez les vedettes de la ligue. C’est précieux. Mais il ne doit pas non plus se mettre à genoux pour que cela se produise.

Nous venons de passer un an à parler de développement et d’établissement d’une culture chez le Canadien. Un an à construire un tremplin qui devrait servir tous les joueurs de l’équipe. Si les bases qui ont été jetées sont vraiment solides, peut-être pourront-elles aider à amener Dubois à un autre niveau.

Jusqu’à maintenant, sa carrière s’est déroulée dans deux environnements – soit Columbus et à Winnipeg – qui ont parfois été décrits comme étant plus ou moins dysfonctionnels. On pourrait très bien comprendre le Canadien de se dire qu’avec ce qu’il a mis en place, avec l’influence de Martin St-Louis et l’élan positif qu’il y a autour de l’organisation, Dubois serait enfin dans un cadre favorable pour s’épanouir.

En fait, c’est impératif qu’il pense de la sorte s’il est pour aller de l’avant. Ce n’est pas seulement que Dubois serait un accélérateur pour rendre le CH compétitif plus rapidement, c’est aussi qu’il y a une possibilité de faire de Dubois plus que ce qu’il est.

Mais c’est précisément là que se trouve le piège. Celui de courir après une lubie, un fantasme, et non après le joueur tel qu’il est aujourd’hui.

Dubois aura 25 ans au mois de juin. Il est arrivé dans la LNH à l’âge de 19 ans et il a déjà plus de 400 matchs d’expérience dans la ligue. Il n’est pas un projet de développement comme l’était Kirby Dach après 152 matchs dans l’uniforme des Blackhawks de Chicago. Dubois a de solides antécédents et on a une bonne idée du joueur qu’il est.

Comparables à Dubois de 2017 à 2023
joueur
  
Pts/PJ
  
PJ
  
B
  
A
  
PTS
  
AGE
  
0.7
434
129
173
302
19-24
0.73
418
130
174
304
20-25
0.71
389
102
174
276
19-24
0.74
438
160
164
324
21-26
0.69
373
109
147
256
21-26

En termes d’âge et de production au cours des six dernières saisons, ces attaquants sont ceux dont le rendement s’est le plus rapproché de celui de Dubois. On notera en particulier le cheminement identique de Jesper Bratt qui, après son contrat d’entrée, a signé un contrat de deux ans, suivi d’une entente d’une saison. À un an de l’autonomie complète, et détenant encore des droits d’arbitrage, Bratt devra négocier au terme des séries avec les Devils de New Jersey, qui en auront aussi plein les bras avec le dossier Timo Meier.

Si l’on recule de quelques années, on peut trouver d’autres comparables de joueurs qui ont produit à la même cadence que Dubois à des âges semblables, ce qui nous aide à cerner dans quelle tranche de joueurs se situe l’attaquant québécois.

Comparables d'années antérieures
joueur
  
Pts/PJ
  
PJ
  
B
  
A
  
PTS
  
AGE
  
PÉRIODE
  
0.73
416
136
167
303
19-24
2015-16 / 2020-21
0.72
373
111
157
268
20-25
2012-13 / 2017-18
0.72
411
123
173
296
21-26
2011-12 / 2016-17
0.71
352
110
139
249
21-25
2016-17 / 2020-21
0.70
434
129
173
302
19-24
2017-18 / 2022-23
0.70
450
92
222
314
21-26
2013-14 / 2018-19
0.69
385
95
172
267
19-24
2012-13 / 2017-18
0.68
413
123
159
282
20-25
2016-17 / 2021-22
0.68
425
91
198
289
20-25
2014-15 /2019-20
0.67
433
116
173
289
19-24
2015-16 / 2020-21
0.67
433
101
187
288
19-24
2011-12 / 2016-17

Voilà une gamme de joueurs qui solidifient assurément une formation, mais dont la valeur varie en fonction des autres tâches qu’ils peuvent accomplir et des intangibles qu’ils apportent ou qu’ils n’apportent pas.

Si l’on s’en tient seulement aux comparables parmi les saisons de 19 à 24 ans, Jonathan Huberdeau constitue un dénouement idéal et Dylan Larkin un comparable tout à fait souhaitable. Dans la logique de la nouvelle culture du Canadien mise au service du développement de Dubois, on ne pourrait pas espérer mieux que ces deux cas-là.

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Le cas de Ryan Johansen, en revanche, est là pour servir de mise en garde. On dit souvent que le meilleur indicateur d’un comportement futur est le comportement passé. Or, tout ne fait pas toujours que progresser. Tout ne va pas toujours mieux dans un autre environnement.

Même s’il a jadis exprimé le voeu de quitter les Blue Jackets et qu’il ne prévoit pas s’entendre à long terme avec les Jets, cela ne veut pas dire que Dubois voudrait changer d’air trois ans après son arrivée à Montréal. Encore une fois, si le désir de jouer ici est le rêve d’une vie pour Dubois, il y a peut-être une dimension nouvelle à son identité de joueur qui se révèlerait en faisant partie du Canadien. Un peu comme Artemi Panarin qui rêvait de jouer pour les Rangers et dont le cœur était à New York. Il a gardé ses meilleures saisons en carrière pour les Blue Shirts. Ce serait l’idéal qu’il arrive la même chose avec Dubois.

Mais jusqu’à preuve du contraire, Dubois n’est pas Panarin.


On voit venir d’ici la réaction populaire à Montréal. Dubois serait immédiatement perçu comme Le Gars, celui qui vient changer le visage de l’organisation. Plusieurs ont cédé à cette tentation quand Jonathan Drouin est arrivé à Montréal, et les attentes démesurées lui ont fait passer un mauvais quart d’heure.

Une fois parachuté à Montréal, s’imaginer qu’il deviendrait comme par magie le meilleur joueur du Canadien ne rendrait donc service à personne.

Dans la perspective du Canadien, il y a une drôle d’équation à résoudre : attirer un joueur en lui conférant un statut particulier, mais travailler ensuite à effacer ce statut et à faire en sorte que Dubois soit l’un parmi plusieurs autres. Il y a du coaching là-dedans, mais il y a des relations publiques aussi.

Jeff Gorton et Kent Hughes doivent prendre acte de ce qu’a montré Dubois depuis son entrée dans la LNH et, tout récemment, des reproches de Bowness qui lui étaient entre autres adressés. Ils doivent l’évaluer avec ses forces et ses faiblesses, et s’assurer de ne pas déchirer leur chemise pour s’assurer ses services à long terme.

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D’habitude, le rapport de force entre un joueur qui jouit d’une forme ou une autre d’autonomie se limite au joueur et à son équipe. Dubois tient le gros bout du bâton par rapport aux Jets, et il maximiserait son pouvoir en testant le marché à l’été 2024. Or, dans ce cas-ci, l’intérêt de Dubois envers le Canadien intègre une autre donne à l’équation, et la dynamique entre Dubois et le CH n’est pas obligée d’être strictement en faveur du joueur.

Si une hypothétique transaction était liée à la négociation d’un nouveau contrat, le Canadien devrait absolument tracer une limite à ne pas franchir et voir si l’intérêt de Dubois envers lui peut lui permettre de lui soutirer une forme de ‘hometown discount’. Autrement dit, imposer ses propres paramètres plutôt que se soumettre aux volontés du joueur : « Tu veux venir jouer chez nous? Voici les conditions pour que ça ait du sens pour nous ».

Est-ce que cela pourrait faire avorter une transaction et inciter Dubois à aller sur le marché des joueurs autonomes l’an prochain ? Si c’est le cas, tant pis. Car en procédant à son acquisition et en faisant de lui son joueur le mieux payé, le Canadien devrait avoir la certitude que Dubois a ce qu’il faut pour porter cette étiquette, que l’on mélange à tort ou à raison avec celle de meilleur joueur d’une équipe.

En apparence, l’occasion a l’air d’être présentée au Canadien sur un plateau d’argent, mais elle n’est pas exempte de risque.

Dubois veut toujours venir à Montréal ? Formidable. Le Canadien serait une meilleure équipe avec lui. Mais de grâce, qu’il ne se lance pas là-dedans aveuglément.

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