850 000 € pour un faux Banksy : comment un grand collectionneur s’est fait flouer

Un marchand d’art était jugé ce lundi pour avoir vendu des faux tableaux de Banksy. Une arnaque dont le préjudice serait supérieur à 4 millions d’euros.
Des oeuvres de Banksy exposes à Milan en 2018 dont le tableau Napalm   le deuxième en partant de la droite.
Des oeuvres de Banksy exposées à Milan en 2018, dont le tableau Napalm (Can’t Beat That Feeling) - le deuxième en partant de la droite.Emanuele Cremaschi/Getty Images

Enfin, le voilà. Vers 18 heures 30, ce lundi, un homme élégant se présente devant la 13e chambre correctionnelle de Paris. Ne serait-ce pas lui Olivier D., le prévenu tant attendu ? L’homme correspond à l’idée qu’on se fait du personnage. La cinquantaine, il porte beau dans un costume caramel, Le Monde à la main. Le juge interrompt son rappel des faits. « Vous avez un lien avec l’affaire ? », demande-t-il au nouvel arrivant. « Non », balbutie l’homme avant de s'asseoir sur les bancs du public. Déception. Olivier D. ne s’est donc jamais présenté à la barre. Il est pourtant accusé d’avoir joué les filous dans le monde de l’art contemporain et d’avoir monté une escroquerie dont le préjudice dépasserait les 4 millions d’euros. En guise d’explications, il a fallu se contenter de la joute entre avocats des deux victimes déclarées et du conseil esseulé d’Olivier D.. Un duel à fleurets mouchetés qui a tout de même permis de retracer une affaire rocambolesque.

En 2009, Olivier D. a 44 ans, travaille dans l’import-export et décide de reprendre contact avec un ancien camarade d’un lycée de Rouen, Jérôme M.. Après plus de dix ans sans se parler, les voilà qui se rappellent du bon vieux temps, de leur jeunesse fanée, de leur passion commune pour la BD. Olivier D. évoque aussi une passion récente : l’art contemporain. L’air de rien, il propose à son ami quelques placements dans le secteur. Ensemble, ils commencent par acquérir quelques planches de BD, puis du street art, des graffitis…

Jérôme M. vit à Moscou. Il charge son ami de repérer des œuvres, de les acheter pour lui et de les transporter jusqu’à un centre de stockage dans l’Eure. Des dizaines d'œuvres suivent ce chemin. Olivier D. paie une maison de vente, puis établit une facture par le biais de sa propre société à son ami. Le sujet de la rémunération d’Olivier D. n’est même pas évoqué. Entre eux, la confiance règne. Jérôme M. accumule de la sorte, pendant des années, des centaines d'œuvres et caresse même l’idée d’ouvrir un musée d’art contemporain dans la capitale russe.

Porsche Panamera

En 2017, il cherche tout de même à vendre quelques tableaux. Il lui faut pour cela les certificats d’authenticité. Mais Olivier D. se met à bégayer quand il les demande. Plus troublant encore, une consciencieuse galerie parisienne indique à Jérôme M. qu’une des œuvres dont il est le propriétaire vient d’être mise en vente. Comment ça ? L’expatrié réclame des explications à son ami. Pas de réponse. Pris de doute, il envoie sa compagne dresser un inventaire de ses biens stockés dans l’entrepôt normand. Deux jours dans la poussière, à déballer les cartons et les mauvaises surprises. Une sculpture de Tintin et Milou achetée 270 000 euros n’est en fait pas en bronze comme indiqué mais… en plastique. Jérôme M. demande à un spécialiste d’expertiser tous ses biens. Sur les 450 œuvres achetées entre 2011 et 2015 pour une valeur de 5 millions d’euros, 123 sont déclarées « problématiques », dont 109 « fausses » à coup sûr. Et 14 demeurent introuvables. Olivier D. aurait-il subtilisé certains tableaux ? En aurait-il revendu d’autres, pour les remplacer dans l’entrepôt par des imitations ? Le 24 octobre 2019, Jérôme M. dépose plainte.

L’enquête est confiée à l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Les limiers commencent par estimer la valeur des œuvres disparues : 3,5 millions d’euros. En se penchant sur les factures, ils découvrent aussi qu’Olivier D. ne se serait pas contenté de jouer au bonneteau avec les œuvres de son ami. Il aurait mis en place un système de surfacturation sur au moins deux ventes. L’acquisition de deux Banksy a ainsi été facturée 301 000 euros à Jérôme M. quand ces tableaux n’ont été payés que 130 000 euros par Olivier D. Ce dernier a aussi touché 667 000 euros de son ami pour une vente de plusieurs œuvres disparates qui ne dépassait pas les 320 000 euros. Placé en garde à vue, Olivier D. plaide l’erreur dans l’inventaire des biens stockés. Et pourquoi alors les policiers ont retrouvé à son domicile des œuvres appartenant à son ami ? Silence.

Pendant son interrogatoire, le suspect est aussi questionné sur son train de vie. L’étude de son compte courant montre que ses dépenses mensuelles moyennes frisaient avec les 25 000 euros aux alentours de 2017, quand elles ne dépassaient pas les 3 000 euros cinq ans plus tôt. Comment expliquer cette frénésie soudaine ? Et l’achat de ces chevaux de course pour 100 000 euros ? D’un van pour les transporter à 220 000 euros, d’une Porsche Panamera, d’un Land Rover ? Surtout que le mis en cause ne justifie d’aucune source de revenus. Si ce n’est la vente de tableaux.

Interrogée à son tour, la compagne d’Olivier D. jure ne se douter de rien. Il lui était arrivée d’éditer quelques factures pour son mari, sans qu’elle n’y trouve rien d’anormal. Elle avait tout de même noté un petit changement dans son comportement. Il passait son temps à s'acheter des vêtements de marque.

Garder l’original en lieu sûr

Pour bien cerner l’état du marché, les limiers de l’OCBC interrogent ensuite quelques grands noms du monde de l’art contemporain. Devant les policiers, l’un d’eux se souvient avoir été approché par Olivier D.. Il lui avait proposé de participer à la vente de plusieurs Banksy. L’expert en street art avait fait part de son intérêt avant de demander de plus amples détails sur les œuvres. Olivier D. lui avait envoyé des photos des tableaux et des certificats d’authenticité correspondants. Par acquit de conscience, l’expert interrogeait alors Pest Control, l’organisme chargé de certifier l’authenticité des œuvres de Banksy. Une formalité, cette fois bien utile. En fait, toutes les œuvres proposées étaient fausses.

Devant les policiers, l’expert évoque aussi un autre souvenir. Olivier D. avait fait livrer des cartons vierges, de dimensions identiques aux œuvres prétendument attribuées à Banksy, à un jeune artiste rouennais. Pour quoi faire ? Et si c’était lui le faussaire ?

En juin 2022, une perquisition est menée au domicile de cet artiste. Les enquêteurs découvrent du matériel de peinture street art, des pochoirs et surtout quatre reproductions de Banksy. En garde à vue, l’ancien étudiant des Beaux-Arts, par ailleurs cuisinier, le reconnaît : oui, il connaît bien Olivier D., présenté par l’intermédiaire d’un membre de sa famille. En 2015, celui-ci lui avait demandé de reproduire quelques œuvres de street art. Il avait ensuite multiplié les commandes pour 250, 500, jusqu’à 1 500 euros, surtout pour reproduire des Banksy. L’artiste en herbe n’avait pas trouvé ça louche, il s’était même senti flatté d’être désigné. Olivier D., se présentait comme marchand de tableaux. S’il commandait des reproductions, c’était pour rassurer ses clients, à qui il conseillait d’exposer un faux tableau pour garder l’original en lieu sûr.

Quand les policiers lui présentent la centaine d'œuvres entreposées dans l’Eure et jugées « problématiques », le peintre amateur tique à nouveau. Au moins 36 seraient des reproductions de sa main. Mais le jeune homme n’est pas au bout de ses peines : sans le vouloir et sans le savoir, il aurait peut-être fait une autre victime.

Billets déchirés

James B. a 52 ans, il est Anglais, chef d’entreprise, collectionneur d’art. À l’été 2021, un galeriste de Saint-Germain-des-Prés lui propose quelques œuvres. Il évoque notamment un tableau de Banksy, Napalm (Can’t Beat That Feeling), représentant la célèbre petite fille brûlée pendant la guerre du Vietnam, tenant la main d’un Mickey et d’un Ronald McDonald. Prix de vente : 750 000 euros. James B. fait part de son intérêt. Le galeriste lui envoie alors plusieurs photos du tableau et du certificat d'authenticité. Jusque là, tout va bien.

Le galeriste met alors en relation le futur acheteur et Olivier D. Ces deux derniers, se mettent d’accord, par conversation WhatsApp, sur les termes de la vente. Avec les droits de douane, l’encadrement, les frais de transport, l’acheteur débourse 854 000 euros pour l’acquisition du Banksy. Premier hic. Le tableau devait traverser la Manche en août mais pendant des semaines, l’Anglais doit ronger son frein. La faute aux droits de douane côté français dont Olivier D. tarde à s'acquitter. Le vendeur temporise. Il parle d’un voyage urgent au Maroc, d’un problème avec une femme de ménage. James B. réceptionne finalement l'œuvre le 28 septembre. Le tableau semble vrai, mais le certificat d’authenticité se fait encore attendre. Il arrive quinze jours plus tard et cette fois, plus de doute. Il s’agît d’un faux grossier.

Banksy vaut cher. Son Parlement décentralisé, représentant des chimpanzés assis sur les banquettes vert olive de la Chambre des communes du Royaume-Uni, a trouvé preneur pour 11,1 millions d’euros en 2019. Banksy est aussi un artiste facile à imiter, du moins plus qu’un Botticelli. Il a donc toutes les qualités pour faire l’objet de tentatives de reproductions. Pour lutter contre le fléau du faux, le maître du street art dont l'identité est toujours tenue secrète, a mis en place un audacieux système d’authentification. Il utilise des billets de 10 livres sterling, déchirés en deux. Une moitié est gardée par un organisme d’authentification, l’autre va au propriétaire de l’une de ses œuvres. Sur chaque moitié, un numéro, les deux doivent logiquement correspondre.

Légèreté à St-Germain-des-Prés

Ce n’est pas le cas du certificat remis à James B.. Il manque aussi un tampon étoilé en relief. Plus troublant encore, le certificat envoyé par la poste n’est pas le même que celui reçu en photo au moment de la vente. La police n’est pas la même, la déchirure du billet non plus, des points ont été changés en virgules… Mais comment Olivier D. a pu obtenir le premier certificat d’authenticité, envoyé par photo et qui semble en tout point vrai ? L’enquête n’a pas permis d’éclaircir ce point. Même chose sur le rôle trouble du galeriste, qui, a minima, a fait preuve d’un défaut de vigilance. « Il y a une forme de légèreté à St-Germain-des-Prés », a souligné Me Matthieu Chirez, conseil de James B.. Tout en se demandant à voix haute « comment un galeriste bien installé peut proposer de jouer l’intermédiaire dans la vente d’un Banksy sans jamais se poser de question sur la provenance d’une telle œuvre ».

Détail troublant : lors de leur premier échange, ce galeriste parisien a d’abord proposé à James B. une œuvre de Dondi White, un célèbre graffeur américain. Tout en précisant que l’œuvre ne disposerait pas de certificat d’authenticité, puisque la succession de l’artiste n'en émettait plus depuis des années. Un mensonge, heureusement sans conséquence, James B. ayant décliné l’offre avant même de découvrir le pot au rose. Volonté de tromper ou simple méprise ?

Aucune poursuite pénale n’a été retenue contre le galeriste. Même chose pour le faussaire rouennais, dont la bonne foi a été reconnue. Le procureur a, en revanche, demandé une peine de trois ans d'emprisonnement avec sursis à l’encontre d’Olivier D. au terme de réquisitoires tout en sobriété. Le magistrat s'est surtout appliqué à déplorer l'absence du prévenu lors de son procès, tout comme son silence face aux enquêteurs. « C’est son droit. Mais cela nous prive de comprendre. » Délibéré le 23 octobre.