Anne Hathaway: «C’est la première fois que je me connais vraiment»

Elle a tout joué et beaucoup vécu : Anne Hathaway a remporté un Oscar, subi les haters, est devenue une icône fashion des Gen Z. Il est temps à présent, confie-t-elle à Julie Miller, de parler - et d'exister - sans retenue.
Anne Hathaway
Anne Hathaway, photographiée en janvier à New York. Tenue Alaïa culotte Kiki de Montparnasse chaussures Mugler gants Paula Rowan bracelets Bulgari Haute Joaillerie collants Falke.Photographie Norman Jean Roy; stylisme Deborah Afshani

Matinée maussade à Manhattan. Je suis attablée avec Anne Hathaway dans un restaurant à la blancheur si aveuglante qu’on se croirait dans une représentation cinématographique de l’au-delà. La star, elle, se montre aussi chaleureuse que prévenante. Je suis arrivée avec un peu d’avance pour la trouver déjà installée, en pull blanc et jean clair, à la table qu’elle a jugée la plus adaptée aux besoins de l’enregistrement. Nous commandons : houmous de pois chiches verts, betteraves et courge honeynut. Si la carte est strictement végétarienne, elle-même ne l’est pas. Plus tard, pince-sans-rire, elle lâchera : « Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que j’ai une personnalité de végane. »

Anne a vécu plus de la moitié de sa vie sous les projecteurs, elle connaît mieux que personne le mal que peuvent faire les opinions tapageuses qui s’expriment sur Internet. Ces cinq dernières années, elle a connu une refonte existentielle totale – régime sec, maternité, quarantaine – et a appris à se montrer plus clémente avec elle-même. « C’est la première fois que je me connais vraiment, expliquera-t-elle plus tard. Je ne vis plus à travers ce que les autres pensent de moi. Je sais comment je fonctionne, je me sens connectée à mes émotions. » Et aussi : « Je ris beaucoup plus facilement aujourd’hui. »

Anne Hathaway en couverture de Vanity Fair, en kiosques le 27 mars 2024.

Elle a les idées claires, et ça se voit. Sur les tapis rouges, ses silhouettes audacieuses aux couleurs kaléidoscopiques lui ont valu l’approbation de la génération Z. Donatella Versace voit désormais dans la star un peu lisse d’autrefois une femme « dangereuse, mais sexy » – le compliment ultime pour un Scorpion – et a fait d’elle l’égérie de sa collection « Icons ». Toutes deux ont débarqué ensemble au Met Gala en 2023, où Anne a ébloui dans une robe en tweed maintenue par des perles et des épingles à nourrice, coiffée comme une super modèle des années 1990. En mai, on la découvrira sur Amazon Prime dans l’adaptation du sulfureux roman de Robinne Lee, L’Idée d’être avec toi : elle y jouera une quadra divorcée qui trouve l’amour dans les bras d’une pop star de 24 ans, ersatz de Harry Styles incarné par Nicholas Galitzine. À 41 ans, elle s’enorgueillit de jouer une femme qui va s’épanouir sexuellement à un moment de la vie où l’on explique à la plupart d’entre elles qu’elles vont devenir invisibles.

Le restaurant dans lequel nous nous trouvons n’est pas seulement végan ; il est aussi « à haute vibration énergétique », les aliments y sont très proches de leur état naturel. Le taux vibratoire d’Anne Hathaway, lui, est en berne dès que le magnéto tourne. « L’idée que le moindre de vos propos puisse être sorti de son contexte pour vous définir est un peu flippante. » Elle me l’assure : elle n’est pas aussi sérieuse qu’elle en a l’air en interview. Au début de notre échange, je la sens pourtant sur ses gardes. Présente et concernée, elle marque toutefois de petites pauses pour scanner mentalement les réponses possibles, afin d’écarter celles qui seraient susceptibles de mettre le feu aux poudres sur Internet. « Il faut éviter de provoquer une réaction, tout en évitant de dire quelque chose qui pourrait être mal interprété, rappelle-t-elle. Je me sens un peu à l’étroit. »

Quand je lui demande comment y remédier, elle répond du tac au tac : « Aucune idée », avant de poser sa main sur la mienne au-dessus de la table et de dire : « Nous allons le découvrir ensemble. »

Un serveur arrive avec les betteraves, véritable toile abstraite de violet et d’orange sur une toile-assiette blanche. « C’est trop beau, souffle-t-elle. Mais bon, je viens de vous dire que je n’étais pas si sérieuse que ça, et là je m’émerveille devant des betteraves. »

Il y a quelques années, dans l'un des fameux sketchs où ils incarnent deux voituriers hystériques, les comiques américains Key & Peele s’indignaient qu’on puisse s’en prendre à « la Hathaway ». Indignés et surexcités après avoir lu un article malmenant la star, ils passaient en revue tout son CV, donnaient au passage leur version de I Dreamed a Dream, sa chanson des Misérables, et lançaient une question rhétorique mais néanmoins mordante : « Comment on peut dire du mal d’Anne Hathaway ? Une femme sûre d’elle à Hollywood, dont le seul défaut est de se soucier un peu trop des autres ? »

Elle l’assume sans ciller : « Je suis quelqu’un d’intense. » Elle raconte qu’à l’âge de 3 ans, en voyant sa mère jouer Eva Perón sur scène, elle a su qu’elle voulait être actrice. « Elle venait me voir jouer, elle regardait, totalement absorbée, avec le plus grand sérieux », racontait sa mère à un journaliste il y a déjà longtemps. Ses parents – son père est avocat spécialisé en droit du travail – ont tout fait pour la dissuader de choisir la comédie. Mais comme le dit sa femme, « mon mari et moi avons vu des enfants adorables devenir de vrais petits monstres ».

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Photographie Norman Jean Roy; stylisme Deborah Afshani

Anne Hathaway n’est pas du genre à renoncer facilement. Jeune, elle s’inscrit à des cours d’art dramatique ; à 14 ans, elle joue les doublures pour Laura Benanti dans Jane Eyre ; à 15 ans, elle a le culot d’écrire à un agent en joignant une photo à sa lettre. « On peut voir dans cette histoire que je ne fais pas les choses à moitié, dit-elle. Quand j’aime quelque chose, je m’imagine en train de le faire à fond. » Elle décide même brièvement qu’elle entrera dans les ordres. « Mais apparemment, on peut aimer Dieu sans devenir bonne sœur », sourit-elle. Elle a d’ailleurs aussi appris qu’on pouvait l’aimer sans être catholique, la position de l’Église sur l’homosexualité l’ayant poussée à s’en détourner. Comme elle l’a expliqué dans GQ, « Pourquoi soutenir une organisation qui refuse de prendre mon frère adoré tel qu’il est ? »

Si sa mère a renoncé au métier d’actrice pour élever ses enfants, elle a repris le flambeau familial. « La dernière chose à laquelle on s’attend, c’est que ça se passe vraiment comme ça », dit-elle. Depuis plus de vingt ans, elle passe pourtant allègrement d’un genre à l’autre. Princesse malgré elle, Brokeback Mountain, Le diable s’habille en Prada, Rachel se marie, The Dark Knight Rises, Les Misérables, Interstellar ou les plus modestes Colossal, Armageddon Time et Eileen... Ses films les plus connus n’ont qu’un seul point commun : sa présence au générique.

L’actrice s’investit sans compter dans ses personnages. Pour incarner Fantine dans Les Misérables, le rôle qui lui vaudra un Oscar, elle perd 12 kg et va même, après avoir fait des recherches sur l’époque et réalisé que ce détail pourrait donner de l’authenticité au personnage, jusqu’à suggérer à l’équipe qu’elle pourrait se raser la tête. Elle demande à faire plus de vingt prises de la séquence où elle chante I Dreamed a Dream, même si le réalisateur la trouve formidable dès la quatrième. Lorsqu’elle tourne, elle a parfois l’impression d’une expérience extra-corporelle : « La vérité, c’est qu’on se laisse totalement aller. Presque comme un black-out dont on émerge ensuite en demandant : “J’ai raté quelque chose ?” »

Le réalisateur James Gray se souvient que Jonathan Demme ne tarissait pas d’éloges sur elle après l’avoir dirigée dans Rachel se marie il y a seize ans. « Il la trouvait géniale, intense et brillamment investie, raconte-t-il. Il disait : “C’est quelqu’un avec qui tu as vrai- ment envie de travailler.” » Gray poursuit : « Quand on cherche des acteurs, on veut un certain niveau d’engage- ment. On n’attend pas d’eux toutes les réponses. Mais on sait qu’ils se donneront à 100 % dans ce qu’ils font. » Il a confié à Anne Hathaway le rôle de sa mère dans Armageddon Time, et raconte qu’elle avait tellement à cœur de bien faire qu’elle a essayé de maîtriser sa recette des escalopes panées, jusqu’à reproduire la façon dont elle plongeait le poulet dans le jaune d’œuf. « D’ailleurs, Jeremy Strong et Anthony Hopkins étaient pareils. Ils étaient prêts à tout pour moi. J’ai presque envie de pleurer en y repensant, c’est très rare d’avoir ça. »

Michael Showalter, réalisateur de L’Idée d’être avec toi, explique quant à lui que l’actrice ne laisse rien au hasard : tout l’intéresse, de la décoration de la maison de son personnage aux stylos qu’elle utilise. « C’est une passionnée, dit-il. Elle a des convictions profondes, elle peut parfois sembler inflexible. Je suis Gémeaux. Pour moi, les choses changent constamment. Une fois qu’on a mis un signe astrologique dessus, ça nous a aidés à communiquer différemment. Je ne plaisante pas. Je ne suis pas spécialement adepte de l’astrologie, mais même moi, je me disais : “Ah, OK. Ça y est, je comprends. C’est parce que tu es Scorpion.” »

La raison pour laquelle elle prépare ses rôles avec autant de soin n’a pourtant rien à voir avec les astres. « Sur un tournage, je préfère éviter d’être désarçonnée par mon anxiété, dit-elle. Pour que je me sente bien, j’ai besoin d’être hyper-préparée. Si une petite voix dans ma tête vient me critiquer, je peux lui clouer le bec en lui rappelant que j’ai fait tout ce que je pouvais pour être prête. » Pour comprendre, il faut revenir à ses débuts : « J’ai eu un jour une terrible crise d’angoisse, je me sentais affreusement seule, je ne savais pas ce qui se passait. Je ne pouvais certainement pas en parler à qui que ce soit, et j’avais honte de faire attendre tout le monde. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus sûre de moi, je peux aller voir un responsable, le prendre à part et lui expliquer ce que je suis en train de traverser sur le moment. La plupart des gens se montrent compréhensifs et vont prendre dix minutes pour s’asseoir avec vous le temps que vous vous apaisiez. »

Anne Hathaway l’a appris à ses dépens : on ne ressort pas toujours indemne de ces plongées au plus profond de soi. Elle vient à nouveau d’en faire l’expérience sur le tournage du très attendu Mother Mary de David Lowery, où elle joue une star de la pop empêtrée dans une relation complexe avec une créatrice de mode. Une coordinatrice d’intimité était présente sur le plateau, pour les scènes de sexe, bien sûr, mais aussi pour toutes celles où les actrices se sentaient stressées. C’était un cadeau du ciel, dit-elle, d’avoir « cette personne qui, dans ces moments de vulnérabilité, où l’on se met vraiment à nu, s’assure que l’on n’est pas en souffrance ».

Quand son étoile a commencé à monter, tout le monde avait son mot à dire sur la façon dont elle devait gérer la célébrité : « Les conseils qu’on te donne vont dans le même sens : il faut te protéger. Tout le monde est dangereux, tout le monde veut quelque chose de toi... On me conseillait de me blinder et de tenir les autres à distance, d’avoir deux personnalités. » Celle qui évolue en public, donc, et celle qui vit dans l’ombre, en privé. Mais trouver une identité n’est déjà pas simple, alors deux... « Pour moi, c’est terriblement déroutant, dit-elle. Je ne fonctionne pas comme ça. Pas de blindage, pas d’armure. » C’est mieux pour être actrice : on a plus facilement accès à ses émotions. Mais les critiques, elles, sont d’autant plus perçantes.

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Photographie Norman Jean Roy; stylisme Deborah Afshani

Elle n’aime pas repenser à l’époque où on la raillait pour des crimes aussi graves que d’avoir coanimé les Oscars et avoir pris ça au sérieux, comme un honneur (« Quand vous êtes irréprochable et que la société vous le reproche : le syndrome Anne Hathaway », titrait BuzzFeed en 2015). En 2022, lors d’un discours sur les femmes à Hollywood, la star expliquait que si le vitriol qu’elle a reçu brûlait autant, c’est qu’il ressemblait étrangement au poison qu’elle s’inoculait elle-même : « Ce langage, je me le réservais depuis l’âge de 7 ans. Et lorsque la douleur que vous vous infligez vous-même vous revient, amplifiée au volume maximum d’Internet... Ce n’est pas rien. » James Gray ajoute : « On vit une époque tellement brutale, ironique et postmoderne, que si vous tentez d’être sincère, tout le monde pense que c’est du pipeau. » Il poursuit : « Les réseaux sociaux réagissent mieux à la méchanceté pure, ils ont tendance à salir la noblesse des intentions et des ambitions. »

Anne me rappelle que cette période n’a pas seulement été violente sur le plan personnel. Même avec un Oscar en poche, dit-elle : « Beaucoup ne voulaient plus me confier de rôles de peur que la haine dont j’étais victime en ligne ne déteigne sur leurs projets. Christopher Nolan a été mon ange gardien, il n’a tenu aucun compte de tout ça et m’a confié l’un des plus beaux rôles que j’ai eus dans l’un des meilleurs films auxquels j’ai participé. » Après The Dark Knight Rises, Nolan l’a choisie pour jouer une scientifique envoyée dans l’espace au côté de Matthew McConaughey dans Interstellar. « Je ne sais pas s’il réalisait à l’époque à quel point il a été un soutien pour moi, mais il a eu cet effet. S’il ne m’avait pas soutenue comme il l’a fait, je ne sais pas où en serait ma carrière. »

« L’humiliation est une chose très difficile à vivre, poursuit-elle. La clé, c’est de ne pas se laisser abattre. Il faut garder la tête haute, ce n’est pas toujours évident, on est tenté de se dire : “Reste tranquille, ne fais pas de vagues, n’attire pas trop l’attention sur toi, ça fera moins mal.” Mais si vous voulez la jouer comme ça, autant changer de métier. Les acteurs sont des funambules. Des trompe-la-mort. On demande aux gens d’investir leur temps, leur argent et leur attention. Il faut donner en retour quelque chose qui en vaille la peine. Si ça ne vous coûte rien, qu’avez- vous vraiment à offrir ? »

Son ami et partenaire dans Armageddon Time, Jeremy Strong, lauréat d’un Emmy pour son rôle dans Succession, a lui aussi l’habitude d’aller au front sans armure. En pleine répétition d’Un ennemi du peuple à Broadway, il a préféré m’écrire un mail plutôt que de me parler d’elle au téléphone. Je le soupçonne d’avoir voulu mettre les mots justes sur ses pensées : « À une époque où la mise en scène de soi prend toujours plus de place, je pense qu’Anne, elle, a compris que le moindre écart par rapport à l’authenticité – cultiver une personnalité idéalisée ou une image à l’épreuve des balles – érode nécessairement ce qu’une personne a à offrir en tant qu’artiste. Anne s’est engagée sur la plus escarpée des voies qui mène à l’épanouissement. Elle jette toutes ses forces dans cette bataille, son cœur, sa colonne vertébrale. En artiste, en femme, en mère, en amie. Siri Hustvedt a écrit un jour que “seul le moi sans protection peut connaître la joie”. Je dirais qu’il en va de même pour la vie et pour l’art : vous devez vous débarrasser de votre enveloppe protectrice pour en faire l’expérience de manière incarnée. Anne s’intéresse à la joie, à la joie de faire son travail et à la joie, consciente, de vivre sans entrave. Elle ne se cache pas, elle n’a pas peur. Ce qui fait d’elle une personne rayonnante et une actrice courageuse. »

La douceur d’être mère

Au cours de nos échanges, nous évoquons la peur de voir nos enfants confrontés à leur tour à la cruauté d’Internet. Je dois avoir l’air désemparé, car elle prend à nouveau ma main et me demande si ça va. Je lui demande ce qu’elle dirait à un jeune victime de la haine en ligne, étant donné son expertise involontaire sur le sujet. Le soir même, alors qu’elle a du mal à trouver le sommeil, elle m’envoie sa réponse par mail. « J’aurais envie de le prendre dans mes bras, de lui faire du thé et de lui dire de vivre le plus longtemps et le mieux possible, écrit-elle. Qu’il y a d’excellentes chances que plus il vivra longtemps, plus cet épisode lui paraîtra insignifiant. Que je lui souhaite une vie un million de fois plus fascinante que cet affreux moment. »

En 2019, Anne Hathaway annonce sa deuxième grossesse sur Instagram, et on peut voir à quel point elle est prête à se montrer vulnérable. En légende d’une photo en noir et blanc, elle écrit : « Ce n’est pas pour un film... Blague à part, à toutes celles qui connaissent l’infertilité et l’enfer de la conception, sachez que ni l’une ni l’autre de mes grossesses n’a été un long fleuve tranquille. Je vous envoie beaucoup d’amour. »

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Photographie Norman Jean Roy; stylisme Deborah Afshani

Je l’interroge à ce sujet. « Compte tenu de la souffrance que j’ai connue en essayant de tomber enceinte, dit-elle, je me serais sentie malhonnête de me contenter d’étaler mon bonheur, alors que je sais que cette histoire est beaucoup plus nuancée pour tout le monde. » En 2015, elle avait fait une fausse couche alors qu’elle était engagée dans six semaines de représentations d’une pièce où elle était seule en scène. « Je jouais au théâtre et je devais accoucher sur scène tous les soirs. » Lorsque des amis viennent la voir en coulisse, elle leur raconte tout : « C’était trop dur de garder ça pour moi, d’être sur scène et de faire comme si tout allait bien. Il fallait que je reste dans la réalité sinon... Alors quand ça s’est bien passé pour moi, comme j’ai aussi été de l’autre côté – quand tu te dois d’être heureuse pour une autre – j’avais envie de dire à mes sœurs : “Vous n’avez pas à être toujours gracieuses. Je vous vois, et j’ai connu ça moi aussi.” » Ses yeux s’illuminent à l’évocation de ce souvenir : « C’est vraiment très dur d’avoir envie de quelque chose de tout son être et de se demander si on a fait quelque chose de mal. »

Anne a été stupéfaite d’apprendre que nombre de ses amies avaient vécu des expériences similaires ; elle a d’ailleurs trouvé une étude estimant que 50 % des grossesses se terminent par une fausse couche : « Je me suis dit : “Pourquoi ne diffuse-t-on pas cette info ? Pourquoi doit-on se sentir si inutilement isolées ?” C’est ça qui fait des dégâts. J’ai donc décidé d’en parler. Ce qui m’a brisé le cœur, m’a époustouflée et m’a donné de l’espoir, c’est que pendant les trois années qui ont suivi, presque tous les jours, une femme venait me voir en larmes, et je la prenais dans mes bras, parce qu’elle portait seule cette douleur en elle et que d’un coup, elle n’était plus tout à fait toute seule. » Lorsqu’elle a écrit ce post Instagram, dit-elle, « l’idée, c’était surtout de dire ce je n’allais pas faire : je n’allais pas avoir honte de quelque chose qui me semblait statistiquement tout à fait normal. »

Anne Hathaway dit s’être adoucie depuis qu’elle est la mère de Jonathan, 8 ans, et de Jack, 4 ans – qu’elle a eus avec son mari, le producteur Adam Shulman. Cette douceur, elle se l’applique aussi à elle-même : « Lorsque j’étais plus jeune, je pensais que pour devenir meilleure, je devais être dure avec moi-même. Mais avec cette méthode, tu finis par te heurter à un plafond. J’ai dû réapprendre ce que signifiait avoir de la volonté, mais le faire avec bienveillance, de manière positive et enrichissante. Et là, tu te dis : “Ah bon, il y a un plafond ? Je ne me suis pas encore cognée dessus.” »

Ce nouvel état d’esprit, elle l’a en partie acquis en décidant de ne plus boire d’alcool. « Au fond de moi, je savais que ça ne m’allait pas, dit-elle. Ça me paraissait extrême de me dire : “Plus une goutte ?” Mais non, plus une goutte. Si tu es allergique à un truc ou que quelque chose entraîne chez toi un choc anaphylactique, tu ne tergiverses pas. J’ai donc arrêté de tergiverser. » Elle le dit sans autosatisfaction ni jugement. « C’est un cheminement personnel, dit-elle. Mon expérience, c’est que tout va mieux sans. Pour moi, ça me conduisait à m’apitoyer sur moi-même. Et je n’aime pas ça. Ce que je crois, c’est que tout le monde va boire un ou deux verres, et quand tout le monde aura pris ses deux verres, tu auras aussi l’impression d’avoir bu deux verres. Mais sans la gueule de bois. »

Anne Hathaway prend beaucoup plus soin d’elle aujourd’hui qu’à 20 ans. « Mes choix de vie sont destinés à préserver ma santé mentale, dit-elle. J’ai cessé de prendre part à des activités qui, je le sais, vont me vider ou m’entraîner dans une spirale. » Il ne s’agit clairement pas que de l’alcool. « J’ai aussi mis un terme à la relation que j’avais avec moi-même en ligne. »

Je la retrouve par un beau lundi matin ensoleillé alors qu’elle pénètre dans le hall de Condé Nast, maison mère de Vogue et de Vanity Fair. La mise en abyme très pop culture du moment ne lui échappe pas. Dix-huit ans plus tôt, son personnage du Diable s’habille en Prada faisait le même chemin pour se rendre à l’entretien d’embauche qui allait changer sa vie dans les locaux du magazine imaginaire Runway. Aujourd’hui, l’actrice porte un trench couleur pissenlit et des lunettes de soleil. Lorsque nous approchons de l’ascenseur, elle me rejoue son personnage d’Andy Sachs : « Bonjour, je suis la nouvelle. »

Trente-quatre étages plus haut, dans un salon entièrement vitré, nous nous émerveillons de la vue sur la pointe sud de Manhattan, la statue de la Liberté et, au-delà, le New Jersey, où Anne a grandi, en courant après des ballons, en regardant Pretty Woman en boucle et en rêvant d’être actrice.

Enfant, elle avait remarqué la différence entre les rôles assignés aux hommes et aux femmes dans les films. « Les jeunes hommes étaient encouragés à poursuivre leurs désirs et les jeunes femmes à être désirées, m’écrit-elle par la suite. Les uns sont actifs, les autres passives. J’ai toujours été du côté des actifs, au risque de me sentir parfois inadaptée. »

«Sa vraie force, c’est la gentillesse et la compassion»

À ses débuts à Hollywood, on lui a reproché un manque de sex-appeal. Elle n’y a jamais cru: « Je me disais: “Je suis Scorpion. Je sais comment je suis le samedi soir” », lâche-t-elle (le plus ironique étant que l’opinion des autres sur son sex-appeal la privait de rôles, mais pas de pâtir du climat prédateur de l’industrie). À l’époque, la définition de ce qui était sexy était plus limitée : « Le male gaze était très dominant, très envahissant et très juvénile. » Comme beaucoup de femmes, à cause de ce que lui renvoyaient les écrans de cinéma, elle a passé sa vingtaine à se soucier plus de son image que de son bien-être émotionnel. Par mail, Donatella Versace écrit à propos d’elle : « Sa puissance et sa beauté m’ont bien sûr tapé dans l’œil... mais sa vraie force, c’est la gentillesse et la compassion. »

Anne Hathaway sait désormais que la question « Comment je me sens ? » compte plus que la question « De quoi ai-je l’air ? » Elle est aussi plus à l’aise devant un objectif. « Je me sens prête à être une créature ouvertement sexuelle », dit-elle. Le roman L’Idée d’être avec toi a marqué les esprits durant la pandémie pour ses scènes de sexe, certes, mais aussi car cette brève histoire d’amour possède une qualité libératrice, qui dit la valeur d’une femme dans la force de l’âge. Anne dit avoir apprécié que son personnage, Solène, préexiste à sa rencontre amoureuse ; c’est une femme qui a déjà une vie. Le film diffère du livre en ce sens que Solène y est moins sophistiquée, plus réaliste, mais le sexe reste très présent. Comme elle me l’écrit : « Ce n’est pas comme si un orgasme féminin parfaitement sain et consenti (bon, d’accord, plusieurs orgasmes) allait changer la face du monde, mais je suis très heureuse de faire partie d’une histoire qui prend plaisir à décrire le plaisir féminin. »

Tout comme on lui a dit qu’elle n’était pas sexy quand elle était jeune, on lui a aussi prédit l’effondrement de sa carrière après l’âge de 35 ans. Elle n’a pas oublié. Avant que Greta Gerwig et Margot Robbie ne s’attaquent à Barbie, son amie la scénariste Olivia Milch et elle ont travaillé sur le projet : leur scénario explorait apparemment le terrain de l’âgisme. Ou, pour reprendre les mots d’Olivia Milch : « L’idée d’une Barbie qui se sent rejetée, plus tout à fait à sa place à Barbie Land. » Anne ne jubile pas pour autant en repensant à ceux qui lui prédisaient une carrière en berne. Elle se dit reconnaissante de pouvoir encore aider à ce que des films se montent – «On ne sait jamais combien de temps ça va durer. » Elle admet que, malgré les meilleures intentions du monde, ça ne marche pas à tous les coups : « J’ai certainement essuyé quelques revers ces derniers temps. » Mais ce ne sont pas les projets qui manquent, souvent des histoires de femmes hors-norme, pour lui permettre de donner la preuve de son talent.

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Photographie Norman Jean Roy; stylisme Deborah Afshani

On la retrouvera bientôt au côté de Jessica Chastain dans le thriller psychologique Mothers’ Instinct, dans lequel elles incarnent deux femmes qui voient leur amitié brisée par la mort du jeune fils de son personnage dans un étrange accident. L’actrice a signé pour le rôle alors qu’elle venait d’accoucher, mais le tournage n’a commencé que lorsque son fils aîné avait plus ou moins le même âge que celui de son héroïne. « Je ne pouvais pas laisser tomber une amie », dit-elle en parlant de Jessica Chastain. Mais l’expérience s’est avérée éprouvante. « Même si j’aimais les gens avec qui je travaillais, j’avais besoin de filer sans regarder en arrière. »

Anne Hathaway n’en aura probablement jamais fini avec Le diable s’habille en Prada : régulièrement, des fans lui demandent s’ils peuvent espérer une suite des aventures d’Andy, Emily et Miranda. À la fin de chaque représentation de la comédie musicale Gutenberg ! qui se jouait en 2023 à Broadway, des invités surprises montaient sur scène pour apporter leur touche à l’intrigue. L’actrice a joué le jeu, en janvier, au côté d’Anna Wintour (qui a inspiré, est-il besoin de le préciser, le personnage de Miranda Priestly joué par Meryl Streep). Sur scène, la patronne de Vogue a présenté Anne comme son assistante. Cette dernière, l’air dépité, lui a répondu : « Encore ? » Fin février, l’actrice a même rejoint Meryl Streep et Emily Blunt sur la scène des Screen Actors Guild Awards. Pourtant, elle ne fera probablement jamais la suite du Diable pour une raison simple : le paysage médiatique est devenu essentiellement numérique et elle préfère que ses films soient de véritables échappatoires à la trivialité du quotidien. Elle jette un œil à mon magnéto et ressent le besoin de clarifier : « Je le réalise en parlant avec vous, je n’ai pas expressément demandé à mon équipe de ne m’envoyer que des films qui se passent avant la révolution de l’ordinateur personnel ! »

Au début de l’année, elle a briève- ment été membre honorifique de Condé Nast : lors de la première séance photo pour cet article, elle a quitté le studio en solidarité avec les membres du syndicat qui débrayaient ce jour-là dans le cadre de négociations avec la direction. Le syndicat auquel elle est elle-même affiliée, la SAG-AFTRA, sortait de 118 jours de grève, et sa sympathie était donc évidente. Le shooting a été reporté au lendemain. Son geste a fait le tour de réseaux sociaux et le site Vulture a titré : « Anne Hathaway, ancienne de Runway, quitte une séance photo en soutien au syndicat. »

Anne Hathaway devient aussi virale pour des raisons plus légères. Comme ces vidéos où on peut la voir échanger avec des fans. À Rome en 2022, par exemple, dans un tailleur jupe Valentino rose étincelant, elle s’adresse à un public en délire en leur lançant : « Calma, calma, amore. » Dans une autre, à Londres en 2023, l’actrice, en cuissardes et robe rouge en forme de rose, explique comment les choses vont se dérouler : « Ne bougez pas, s’il vous plaît. Je vais venir. On ne va pas pousser. » La vidéo n’avait pas de son, mais un créateur de contenu malentendant a lu sur ses lèvres et posté une version sous-titrée sur TikTok qui lui a valu plus de 3,4 millions de likes. « Tellement d’assurance, de classe et de talent, commentait un internaute. C’est une queen de la confiance en soi ! »

Lorsque je fais référence à cet épisode, elle n’a manifestement aucune idée de ce dont je parle ; ça arrive régulièrement. Elle se souvient des événements en fonction de ce qu’elle portait sur le moment ; je lui décris donc les cuissardes. « Il va falloir m’en dire plus, dit-elle. J’en porte très souvent. » Pretty Woman est toujours son film préféré. Quand elle revoit enfin la scène, elle s’en amuse : « Nous avons tous un système nerveux, et j’ai une relation très intime avec le mien ! » Elle marque une pause. « Les gens veulent simplement être vus. Et à ce moment-là, on peut tous être sur la même longueur d’onde. »

Julie Andrews, qui prenait le temps de signer des autographes à la fin de chaque journée du tournage de Princesse malgré elle, a été un exemple pour elle. « Elle offrait ce moment aux gens. Elle sait qu’elle fait partie de leur vie depuis longtemps et elle respecte ça. Je ne sais pas si je suis toujours capable d’en faire autant. Mais j’ai appris à essayer de me comporter d’une manière dont je n’aurai pas à rougir plus tard. » Et de poursuivre : « Ce qui me convient le mieux aujourd’hui, c’est de laisser les choses se faire. »

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Photographie Norman Jean Roy ; stylisme Deborah Afshani

Elle ne le précise pas, mais pour celle qui a si longtemps été victime d’anxiété, c’est une avancée considérable. L’an dernier, elle a été filmée en train de danser sur la chanson Lady Marmalade de Parry Labelle lors d’une soirée Valentino durant la Fashion Week à Paris. « Je me suis retournée et j’ai vu que j’étais filmée. Mais je me suis dit : “Je suis dans un club, je danse, c’est la vie. Ne t’arrête pas, ne joue pas un rôle. Reste où tu es, tu te sens bien.” Malgré... » Elle marque une pause. « Malgré rien du tout. Qui ne se sentirait pas bien à ma place, à danser en Valentino dans un club parisien ? »

Ce moment de joie pure et sans arrière-pensée a été vu plus de 20 mil- lions de fois sur TikTok. « D’ailleurs, dit- elle, si ça avait été vous, je vous aurais trouvée superbe, et j’aurais été vraiment heureuse pour vous aussi. »

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