En 2008, une assistante est invitée à donner la réplique aux trois stars de Grey’s Anatomy. « Je n’oublierais jamais mon arrivée sur le plateau, raconte-t-elle aujourd’hui à Vanity Fair. Patrick Dempsey, Eric Dane et Ellen Pompeo m’y attendaient. Avant ma seule et unique réplique, j’ai rougi de la tête aux pieds. Mon cœur battait tellement la chamade qu’un de mes collègues a cru que j’allais tomber dans les pommes... »
Quinze ans plus tard, Jess Brownell se voit confier les rênes de la nouvelle saison de La Chronique des Bridgerton, l’une des plus populaires séries Netflix. Après quatre années en tant qu’assistante de Betsy Beers, associée de longue date de la magnat de la télévision Shonda Rhimes, Jess Brownell s’est retrouvée à faire « des recherches politiques qui ne m'intéressaient pas, pour la série Scandal », avant d’être promue au rang de scénariste à part entière quand Shondaland a transféré ses activités d'ABC à Netflix, d’abord pour La Chronique des Bridgerton, puis pour Inventing Anna, la juteuse série sur l'arnaqueuse mondaine Anna Delvey. Selon Jess Brownell, « Shonda Rhimes et Betsy Beers ont soutenu mon ascension de A à Z ».
Ce lent parcours de l’obscurité aux feux des projecteurs fait d’elle la candidate idéale pour diriger la troisième saison de La Chronique des Bridgerton, où les deux amis d’enfance Colin (Luke Newton) et Penelope (Nicola Coughlan) occupent enfin le devant de la scène. Dans la série, adaptée de l’œuvre de Julia Quinn, leur idylle arrive au premier plan plus tôt que dans les romans, et part d’un arrangement au cours duquel Colin enseigne à Penelope l’art de trouver un mari.
La troisième saison de La Chronique des Bridgerton sera diffusée en deux parties : les quatre premiers épisodes le 16 mai, les suivants le 13 juin. Jess Brownell en donne un aperçu à Vanity Fair, de cette division de la saison au nouvel intérêt amoureux de Penelope : « Il aurait été parfait pour elle, si elle n’avait pas été folle du même homme depuis sa plus tendre enfance. »
Vanity Fair. Nicola Coughlan et Luke Newton ont appris qu’ils seraient les têtes d’affiche de la troisième saison de La Chronique des Bridgerton pendant le tournage de la seconde. À quel moment les discussions sur votre promotion en tant que showrunneuse ont-elles commencé ?
Jess Brownell. Vers la fin de la deuxième saison. Quand Chris Van Dusen est parti travailler sur d’autres projets, j’ai reçu un coup de fil de Shonda Rhimes. C’était un samedi, ce qui m'a mis la puce à l’oreille, vu qu’elle ne passe jamais d’appels professionnels le week-end. Quand elle m’a demandé si ça m'intéressait de prendre la relève, j’ai eu du mal à en croire mes oreilles ! Je suis une fan de la première heure de cette série. La comédie romantique, c’est mon genre préféré.
En tant que scénariste, quelle a été votre rôle sur les deux premières saisons ?
Dans la première, j’ai écrit une bonne partie de l’histoire de Daphne [Phoebe Dynevor] et de Simon [Regé-Jean Page]. Chris Van Dusen s’est aussi tourné vers moi pour les premières scènes d’intimité, qui n’ont pas été faciles à écrire vu que je ne savais pas jusqu’où aller. Il y avait une certaine gêne... Mais maintenant qu’on sait ce qu’on fait, écrire ce genre de scènes est presque devenu une seconde nature pour moi.
J’imagine que vous avez été soulagée de voir que si La Chronique des Bridgerton a tant cartonné, c’est en bonne partie grâce aux scènes les plus torrides.
Le sexe fait partie de la vie. Beaucoup de belles histoires peuvent être racontées à travers lui, et c’est ce qu’on tente de faire. À partir de ce qui se passe entre deux personnes au lit, comment voyons-nous leur relation évoluer ? On tente de faire en sorte que ces scènes fassent avancer l’histoire, plutôt que d’être gratuites.
Quand Shonda Rhimes vous a proposé de travailler sur cette troisième saison, était-il déjà prévu que l'histoire d’amour de Benedict [Luke Thompson] laisse la place à celle de Colin et Penelope ?
La décision de nous focaliser sur Colin et Penelope a été prise par Shonda et moi-même, lors de notre première discussion à propos de cette saison. Elle m’a d'abord demandé si je voulais être showrunneuse, puis j’ai relu tous les livres avant de revenir vers elle. La saison 2 n’était pas encore terminée, il était donc encore temps d’en influencer la fin en préparation de la troisième. On était toutes les deux très enthousiastes à l’idée de mettre en avant Colin et Penelope, parce qu’on connaît bien ces deux personnages. On avait été témoins de cette dynamique où Colin ne comprend pas tout à fait que Penelope l’apprécie, et on ne voulait pas qu’elle s’essouffle, alors on s’est dit que le temps était venu de leur laisser davantage de place.
Au-delà du sens de ce changement dans l’histoire, pensiez-vous pouvoir apporter quelque chose de personnel à la liaison entre Colin et Penelope ?
Leur relation me parle vraiment, avec ce béguin non-réciproque et quelque peu hors-norme. Ça me rappelle mes années lycée. J’aime le fait que l’histoire de Penelope et Colin se prête si bien aux tropes de la comédie romantique, qu’il s’agisse de deux amis qui tombent amoureux l’un de l’autre... Ça nous permet d’être plus drôles.
L’une des choses que je préfère quand je les vois tous les deux, c’est qu’ils rient ensemble, ce qui n’est pas si souvent le cas dans les romances d’époque. Y a-t-il des comédies romantiques qui ont influencé l’écriture de ce couple ?
Tous les films où un personnage peu populaire s’oppose à un personnage qui l’est. Donc à peu près tous les films de John Hughes : Rose Bonbon, Seize Bougies pour Sam... On a aussi beaucoup parlé d’Elle est trop bien et, de façon plus générale, des films de Richard Curtis et de Nora Ephron. J’ai aussi pas mal pensé aux blagues dans des films comme Elle et lui, Love Story et Vacances romaines. Le badinage, c’est ce que je préfère écrire, alors je m’inspire souvent de ces vieilles comédies romantiques.
Cette focalisation sur Colin et Penelope est d’autant plus réussie qu’on est déjà attachés à eux. Après deux saisons dans leurs peaux, comment Nicola Coughlan et Luke Newton ont-il renouvelé leurs jeux ?
J’ai eu de la chance de faire ma première saison de showrunning avec eux. Tous deux étaient tellement chaleureux, tellement coopératifs... Sans parler du fait qu’ils connaissaient déjà leurs personnages par cœur. J’écris un ensemble de plus de 25 personnages, alors je me suis tournée vers eux pour qu’ils approfondissent les leur.
Nicola Coughlan apporte une authentique force à son personnage. Penelope a beau s’être fait larguer à la fin de la deuxième saison, au début de la troisième, elle est déterminée à en tirer le meilleur parti, et c’est grâce à ce que Nicola lui apporte.
Pour ce qui est de Luke Newton, son personnage subit un changement de personnalité assez important, qui s’est surtout produit entre les saisons, hors caméra. L’an dernier, c’était un jeune maladroit qui n’avait pas encore trouvé sa place dans le monde, et tout d’un coup, il est de retour plein d’assurance et de confiance en lui. Luke parvient à insuffler beaucoup de profondeur dans ce personnage. Parce qu’évidemment, si vous niez une partie de votre personnalité, elle risque de revenir au galop...
Dans les quatre premiers épisodes, Colin et Penelope cherchent quelqu’un qui les accepte tels qu’ils sont. Cela les conduit notamment à des changements de looks. Comment abordez-vous ces transformations esthétiques ?
On commence par la transformation superficielle : dès le premier épisode, les deux ont un nouveau look. C’est la stratégie la plus facile à mettre en place, mais ça ne suffit jamais. Une métamorphose n’a qu'un effet limité si elle n’est pas aussi interne.
Les mères de l’époque de la Régence jouent un rôle important dans l'orientation de leurs enfants vers le mariage. Parlez-nous de l’évolution des personnages de Violet Bridgerton et de Portia Featherington au fil de cette saison.
La relation entre Portia et Penelope est très importante cette année. Dans la saison 2, Violet se mêlait sans arrêt des affaires d’Anthony, elle n’hésitait pas à lui dire quoi faire. Colin est plus sensible et sa mère sait qu’il a besoin d’une éducation différente. Cette année, elle est un peu plus en retrait, mais elle donne de subtiles petites indications à Colin ; elle le pousse dans la bonne direction, mais elle ne lui dit jamais exactement quoi faire, même si elle est au courant de tout ce qui se passe.
La bande-annonce suggère que Violet pourrait avoir un intérêt amoureux cette saison…
Les adultes aussi ont besoin d’amour, et le moment semblait venu pour Violet. Dans la salle des scénaristes, on s’oppose tous à l’idée que les mères doivent consacrer toute leur vie à leurs enfants. On s’est donc dit qu’il était important de souligner que Violet méritait d’être aimée tout autant que sa progéniture.
Lord Debling (Sam Phillips) est un rival romantique digne de ce nom pour Colin.
« Rival romantique », oui, c’est tout à fait ça. J’imagine que certains spectateurs vont comparer Debling et Penelope. Cette dernière est une femme tellement atypique pour l’époque... Pour commencer, elle a une carrière. Elle est peut-être un peu timide, mais elle a réussi à se faire une place toute seule, ce qui n’était pas rien en ces temps-là. Et à bien des égards, elle mérite d’être avec un homme exceptionnel. Debling a de grandes ambitions, il est sensible et réfléchi, et il ne se soucie pas de ce que les gens pensent de lui. Voilà ce que Penelope doit faire : moins se soucier de ce que les autres pensent d’elle. C’était donc un bon contrepoids à Colin. Il aurait été parfait pour elle, si elle n’avait pas été folle du même homme depuis sa plus tendre enfance.
Certaines scènes intimes du livre, très attendues, sont intégrées à cette troisième saison. Qu'est-ce qui a été le plus important pour les porter à l'écran ?
Notre coordinatrice d'intimité, Lizzy Talbot, a accompli un boulot incroyable. On s’est appuyé sur ce avec quoi Nicola et Luke étaient à l’aise. D’un point de vue narratif, il fallait qu’on voie Penelope assumer son pouvoir, et Colin, sa sensibilité. Cette saison les voit suivre des voies parallèles mais opposées, et l’intimité était l’endroit idéal pour explorer ces deux trajectoires.
Le plaisir et l’autonomie de la femme sont au cœur de ces scènes.
On est très attentifs au consentement. À cette époque, les femmes étaient privées d’une grande partie de leurs droits ; elles pouvaient choisir un mari, et c’était à peu près tout. On voulait donc leur permettre d’avoir du pouvoir et de consentir à ces scènes d’intimité, probablement plus que s’il s’agissait d’une intrigue contemporaine.
On assiste aussi à l’entrée dans la société de Francesca Bridgerton. Qu’est-ce qui a été le plus excitant dans l’exploration de ce personnage ?
Cette année, c’est Hannah Dodd qui joue Francesca. Le personnage risquait d’être méconnaissable ou inaccessible, mais Hannah lui apporte une subtilité exceptionnelle, ce qui nous permet d’entrer dans sa tête de façon très efficace.
Francesca n’apparaît que très peu dans les saisons 1 et 2, alors j’ai pu inventer un peu plus avec elle. Les Bridgerton sont extravertis, charmants, à l’aise en société, mais pas Francesca : c’est l’introvertie de service, elle est plus taciturne. Mais elle a une vie intérieure très riche et un point de vue bien à elle, ce qui représente un défi pour Violet quand Francesca fait ses débuts sur le « marché du mariage ». Violet sait très bien comment guider ses autres enfants, qui expriment très clairement leurs sentiments, mais comme Francesca est plus mystérieuse, cela crée un véritable défi pour sa mère.
Pour la première fois, cette saison sera diffusée en deux parties. Est-ce dû aux grèves, ou à un choix stratégique de Netflix ?
Au départ, on n’avait pas prévu de faire de pause de milieu de saison. C’est Netflix qui nous l’a proposé. C’est quelque chose qu’ils essaient de mettre en place, et au final, ça a parfaitement marché. On a fait une pause naturelle à la fin du quatrième épisode. Je suis sûre que ça va être frustrant pour certains fans, mais c’est bien d’avoir ce break pour tout assimiler et spéculer sur ce qui va suivre.
Suivez-vous les discussions en ligne des fans de la série ?
Un peu, oui. On m’envoie les théories les plus drôles sur Footman John et Eloise ; certains pensent qu’ils ont une relation. Ce genre de choses se retrouve dans ma boîte mail, mais pour l’essentiel, j'essaie de ne pas m’en mêler quand je travaille. Pour ne pas être influencée. Je sais qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et que tous les fans ne pensent pas la même chose. J’ai essayé d’engager des auteurs représentant différents types de fans, et on a eu beaucoup de débats dans la salle des auteurs.
Quelle est la leçon la plus importante que vous avez tirée de votre première saison en tant que showrunneuse, et que vous appliquez dans la saison 4 ?
J’ai appris à déléguer. Avant, je gérais les scripts d’un peu trop près, j'essayais de m’impliquer dans tous les aspects de la production. C’était bien, mais c’était aussi épuisant. Sur cette quatrième saison, j’ai totalement confiance en mon équipe, et je leur donne les moyens de faire du bon boulot par eux-mêmes.
Y a-t-il une scène particulière que vous êtes impatiente de montrer aux fans ?
Dans l’épisode 5 de la saison 3, il y a une scène où tous les personnages principaux sont réunis. C’était super à filmer, parce que ça arrive très rarement que tous ces gens soient au même endroit. On se serait vraiment crûs en colonie de vacances.
La troisième saison de Bridgerton sera diffusée sur Netflix en deux parties : la première le 16 mai et la seconde le 13 juin.
- «La Chronique des Bridgerton» : Une clause étonnante s'est glissée dans le contrat de Nicola Coughlan
- «La Chronique des Bridgerton» : Regé-Jean Page avoue avoir mauvaise haleine
- Pourquoi les corsets pourraient être interdits dans les séries d'époque comme «La Chronique des Bridgerton»
- Phoebe Dynevor quitte la série «La Chronique des Bridgerton»
Cet entretien a été édité et condensé.
