«Être sujet sans être objet»: le défi de l'érotisme au cinéma avec Emmanuelle

Noémie Merlant est la star de notre couverture d'août. Elle sera, à la rentrée, à l'affiche d'Emmanuelle, d'Audrey Diwan.
«Être sujet sans être objet» le dfi de l'rotisme au cinma avec Emmanuelle

Il ne faut pas la lancer sur Emmanuelle. Encore moins lui présenter la version originelle de 1974 comme un emblème de la révolution sexuelle, avec ses affiches à l'effigie de Sylvia Kristel et ses presque. neuf millions d'entrées en France. « Ce film est une catastrophe », coupe Noémie Merlant, quand notre journaliste se résout à aborder le sujet avec elle. Comment lui donner tort ? Entre le jeu d'acteurs hasardeux, les scènes tournées à la va-comme-je-te-pousse et les répliques grandiloquentes du genre « Tu sais à quoi ça me fait penser ? À la mort », rien ne va dans ce nanar cul-culte, à l'exception peut-être de la musique de Pierre Bachelet. Et surtout, rappelle avec acuité la comédienne, il y a cette terrifiante scène de viol qui ne laisse pas d'interroger sur la cécité des seventies, où le logiciel collectif n'avait visiblement pas encore intégré le mot « consentement ».

Question : pourquoi donc Noémie Merlant a-t-elle accepté de rejouer ce rôle-titre un demi-siècle après, dans l'un des long-métrages les plus attendus de la rentrée ? Réponse : parce qu'il y a Emmanuelle (le film) et Emmanuelle (le livre). Colossale nuance. Avant d'accéder à la postérité en version Technicolor, la discrète épouse de diplomate était une créature de papier. Et quelle créature ! Dans le roman publié en 1959 sous le pseudonyme d'Emmanuelle Arsan, l'héroïne est une avant-gardiste du plaisir qui explore les diverses possibilités de son désir, sous le regard bienveillant de son mari. « La grande différence par rapport au film, c'est qu'elle est le sujet de son histoire et non l'objet, relève la réalisatrice féministe Audrey Diwan, fascinée par la modernité du récit. Aux deux-tiers de l'ouvrage, il y a une discussion-fleuve d'une centaine de pages quasi-philosophique entre Emmanuelle et un homme, plus âgé évidemment, sur ce qu'est l'érotisme. »

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Ces chapitres où se croisent Foucault, Soljenitsyne et Neruda l'ont convaincue de réhabiliter la vraie Emmanuelle, dans la lignée de son travail sur le corps commencé avec L'Événement, l'adaptation du récit d'Annie Ernaux qui lui a valu le Lion d'or à la Mostra de Venise en 2021. Il faut voir avec quelle justesse la cinéaste filme les silences et les non-dits d'une étreinte : chaque image, chaque plan interroge l'idée de la représentation de la jouissance, sans jamais verser dans l'écueil de « la femme qui crie ». « On essaie de montrer quelque chose qui ne se voit pas, poursuit-elle. Tout l'enjeu, c'est de porter à l'image quelque chose qui monte, mais qui est à l'intérieur. »

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Vous l'avez deviné : monter cette couverture et cette séance photo avec Noémie Merlant nous a placés à notre tour au cœur de ce questionnement. Comment figer une forme de sensualité sans l'objectiver ? Et que faire des références de la première Emmanuelle, comme l'inévitable fauteuil en rotin ? Le jour dit, Audrey Diwan m'a demandé si elle pouvait passer sur le lieu de la prise de vue, par curiosité, pour voir comment le photographe tissait un fil entre érotisme et féminisme. Dois-je avouer que je n'étais pas tout à fait rassuré ? À la fin de la journée, elle m'adressait ce message : « J'ai le sentiment que pas mal de photos réussissent à représenter une femme qui plaît sans être objet mais sujet. » Le plus beau des compliments.

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