Gisele Bündchen, un coeur sauvage

Elle fut la top-modèle la plus célèbre du monde, avant de quitter les podiums pour se consacrer à sa famille. Au lendemain d'un divorce très médiatisé, Gisele Bündchen a confié à Michelle Ruiz ses projets écolos, les secrets de sa vie au Costa Rica, et ce qui la lie aux forces mystérieuses de la nature.
Gisele Bündchen en couverture de Vanity Fair.
Gisele Bündchen, en couverture de Vanity Fair.Lachlan Bailey

Si Gisele Bündchen est une sorcière, c'est une bonne sorcière.

Nous sommes un vendredi matin, il est 7 h 30, et la top-modèle évoque ses pouvoirs magiques dans sa « chambre » – une casita minimaliste jouxtant son imposante maison, au milieu des palmiers de la péninsule de Nicoya, au Costa Rica – où elle soigne un oiseau blessé.

Gisele vient de découvrir ce petit rouge-gorge immobile, niché sur un canapé blanc de sa terrasse où il a atterri, un lieu qui jouit d’une vue panoramique sur la plage en contrebas. L'air dépité, elle saisit l'oiseau avec autant de délicatesse qu'une princesse de Disney, en faisant attention à sa patte abîmée.

“Tu vas bien ?” roucoule-t-elle à l'oiseau, sa voix rauque réduite à un murmure. Elle caresse sa petite tête d’un index élégant aux ongles sans vernis, en faisant “un peu de Reiki”, comme elle le dit, cette pratique holistique de transfert d'énergie et de guérison par le toucher. Elle fait la même chose à ses enfants, Benjamin Rein, 13 ans, et Vivian Lake, 10 ans.

“Il a fait un petit caca”, note la jeune femme avec son accent si caractéristique. Le rouge-gorge a sali l'un des coussins immaculés du mannequin, mais elle s'en fiche, elle est uniquement préoccupée par l’animal. (Peu après, elle nettoiera elle-même les déjections de l’oiseau.) Elle appelle le concierge de sa maison, Victor, en espérant qu’il puisse l’emmener d'urgence chez un vétérinaire, et lui verse de l'eau dans le bec à partir d'un porte-encens transformé en mangeoire de fortune. “J'ai peur qu'il meure s'il reste comme ça”, redoute-t-elle.

À ce moment-là, l'oiseau tressaille. “Peut-être qu'il va s'envoler”, murmure Gisele.

Body Versace.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Elle explique qu'elle communique régulièrement avec les oiseaux, les écureuils et les papillons. Elle est entourée de ce qu'elle appelle la “symphonie de la nature” du Costa Rica : le bourdonnement des insectes, les cris des perroquets et les hurlements des singes semblables au rugissement des lions ; une proximité accentuée par le fait qu’un mur de sa petite maison est entièrement escamotable. Elle commence à décrire cette splendeur : “J'ai trouvé un colibri au bord de l'océan un jour où je me promenais avec les chiens...”

Tout à coup, le rouge-gorge bat des ailes et s'envole des mains du top model vers le sommet de la colline. Nous sommes stupéfaites. Soit sa patte cassée a miraculeusement guéri, soit la Brésilienne est une véritable sorcière : “une sorcière de l'amour”, dit-elle.

“C'est un présage !” s’exclame-t-elle, les yeux écarquillés. Nous voyons que l'oiseau s’est rapidement rétabli et cherchons une signification, jusque dans ses fientes. "Il avait besoin de se soulager !". Mais un oiseau blessé qui reprend son envol, Gisele ne peut le voir que comme une métaphore de sa propre vie, à ce moment-là.

“Je ne veux pas être limitée”, m’a-t-elle confié lors d'une de nos nombreuses conversations pendant ces deux jours passés chez elle. “Je veux déployer mes ailes et voler.”

Body Alaïa.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Venons-en au fait : En dehors du travail, Gisele Gisele, 42 ans, a des allures de déesse mythique. Ses célèbres cheveux longs ondulent naturellement. Sans maquillage, son teint exceptionnel a des nuances naturelles aux allures de Nars Laguna. Elle porte un haut de bikini bandeau marron et un jean taille haute - elle ne portera que des crop tops ou des bikinis pendant mon séjour, parce que les chemises, c’est superflu quand on s'appelle Gisele. Sa stature pourrait être intimidante si elle ne dégageait pas une énergie sauvage.

Comme la plupart des gens le savent, Gisele Gisele sort d'une longue union avec Tom Brady, ancien quarterback de la NFL Le power couple a divorcé en octobre dernier, après une série de gros titres qui ont mêlé le sort de leur mariage à celui de la carrière de Tom Brady : en février 2022 Brady a pris sa retraite, une décision apparemment approuvée par son épouse. Puis 40 jours plus tard, il a décidé de reprendre du service mais a été absent pendant 11 jours du camp d'entraînement des Buccaneers de Tampa Bay pour des raisons “personnelles”. Le couple a fait appel à des avocats et, peu après, l’annonce officielle est tombée. Ils ont publié des déclarations quasi identiques, assurant qu’ils formeraient une bonne équipe de parents, heureux du temps passé ensemble. Lorsque Brady a pris de nouveau sa retraite en février, le couple était officiellement séparé.

Leur union semblait pourtant parfaite : ils ont été invités 11 fois au Met Gala (dont une fois, qui a marqué les annales, tous les deux vêtus en Versace) ; se sont embrassés au milieu des hourras entre deux victoires de Brady au Super Bowl ; se sont embrassés au coucher du soleil dans cette même maison, où ils ont célébré leur second mariage en 2009, après une cérémonie catholique à Santa Monica, à l'issue de laquelle Brady a fait griller des pièces de viande pour le dîner. Voilà pourquoi leur divorce rappelle la séparation de Jolie et Pitt ou Pitt et Aniston. La frénésie médiatique est née en partie d’une projection sociale, sans exclure un certain type de discours sur le genre : “Si Gisele et Tom n'y arrivent pas, comment peut-on s’en sortir ?” Deux personnes au sommet de leur carrière peuvent-elles coexister dans un mariage ? Dans un couple hétéro, la femme, quelle que soit sa réussite sociale, doit-elle toujours s’occuper des enfants davantage que son partenaire ? Ou peut-être s'agissait-il de la part des médias d’une joie un peu malsaine.

Environ deux mois et demi se sont écoulés depuis l'annonce lorsque Gisele vient me chercher en VTT  à mon hôtel, au Costa Rica, vêtue d'un soutien-gorge de sport taupe, d'un short assorti et de tongs arc-en-ciel. Un foulard en lin bleu et blanc est enroulé autour de sa tête et lui couvre en partie le visage, mais ce n’est pas pour dissimuler son identité – les locaux comme les touristes la considèrent tous comme quelqu’un d’ici – mais pour se protéger des nuages de poussière soulevés par les routes non goudronnées. Elle m'offre un foulard assorti et nous prenons la route qui monte jusqu’à chez elle.

Deux mois et demi seulement, après 13 ans de mariage, les émotions de Gisele sont toujours palpables. “C'est à la fois une mort et une renaissance”, me confie-t-elle. Elle est assise jambes croisées dans son salon, sorte de temple en plein air qui pourrait être le hall d'entrée de l’hôtel de luxe d’Amanyara. L'enceinte clôturée - qui comprend un terrain de pickleball, une palapa pour le yoga et une cabane à poules, où la famille prend ses œufs et recycle ses déchets - donne sur une piscine aux lignes pures et, au-delà, sur l’infini de l’océan.

La perte d'un conjoint à la suite d'un divorce est souvent assimilée à un décès. Gisele pleure “la mort de mon rêve”, explique-t-elle. “C'est difficile parce que vous imaginiez que votre vie allait se dérouler d'une certaine manière, et vous avez fait de votre mieux...” À ce moment-là, sa voix se brise. Elle s'excuse en se pressant les yeux, rougis et pleins de larmes, du bout des doigts. Après plusieurs inspirations profondes de yoga, elle reprend. “Je croyais aux contes de fées quand j'étais petite. Je trouve ça beau d’y croire. Et je suis très heureuse d’y avoir cru.”

“On fait de notre mieux pour que notre rêve se réalise”, poursuit-elle. “On se donne à cent pour cent, et quand ça ne se termine pas comme on l’espérait, malgré nos efforts, ça nous brise le cœur, mais on ne peut plus rien faire.”

Les décisions que la star des podiums des années 2000 a prises concernant sa vie de famille et sa carrière sont bien connues : pendant la plus grande partie de son union avec Brady, celle qui a longtemps été le mannequin le mieux payé au monde a mis un frein à sa carrière au profit de celle de son mari. Elle a cessé de défiler en 2015 et, quelques années plus tard, a quitté Boston, ville où elle vivait depuis longtemps, pour s'installer en Floride. “Je n'avais jamais mis les pieds à Tampa”, me dit-elle. “Je m’y suis installée et voilà, ma vie s’est poursuivie là-bas.”

La décision de se consacrer entièrement à son rôle d’épouse et de mère s’est imposée à elle. “Quand j'ai rencontré Tom, j'avais 26 ans et je voulais fonder une famille. Je me sentais prête”, affirme-t-elle. Elle travaillait jusqu’alors sans relâche, certaines années 350 jours par an, depuis qu'elle avait été découverte dans un centre commercial de São Paolo à l'âge de 13 ans. En décembre 2006, un an après sa rupture avec Leonardo DiCaprio, Brady et elle se sont rencontrés lors d’une “blind date” par leur ami commun Ed Razek, ancien responsable marketing de la maison mère de Victoria's Secret et instigateur très critiqué de ses “Anges”. Dès que la jeune femme a aperçu le quarterback au bar à vins Turks & Frogs de West Village, “j'ai su tout de suite”, a-t-elle confié à notre magazine en 2009.

En pleine euphorie amoureuse et juste avant que la nouvelle ne soit rendue publique, Brady a annoncé à Gisele que son ex-petite amie, l'actrice Bridget Moynahan, était enceinte. Certaines (beaucoup ?) de femmes auraient pu s'enfuir en courant. La Brésilienne, en effet, a envisagé de tirer sa révérence. Avec le recul, c'était “une situation difficile pour nous tous”, dit-elle. Au lieu de cela, lorsque Jack, le fils de Tom et Bridget, est né en 2007, Gisele l'a accueilli comme son “enfant bonus”.

Robe Saint Laurent par Anthony Vaccarello Ceinture Artemas Quibble.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Aujourd'hui âgé de 15 ans, Jack a accéléré les projets familiaux de Gisele et Brady. “Jack est entré dans notre vie et je me suis sentie tellement chanceuse qu'il a réveillé en moi le désir d'être mère”, explique Gisele. “J'ai toujours rêvé d'être maman, mais je pense que c'est arrivé un peu plus vite que je ne l’avais prévu, parce que ce magnifique petit ange était entré dans ma vie, que je devais m'occuper de lui et que je l'aimais.” Benjamin et Vivian sont nés à domicile, à Boston, suite à un accouchement dans l'eau (ce à quoi Tom s'était d'abord opposé, mais sa femme a insisté) en 2009 et 2012, respectivement. “Mon monde, c'était eux”, dit Gisele. “Vous savez à quel point je suis heureuse d'avoir eu ce temps pour moi ? J'ai allaité mes enfants jusqu'à ce qu'ils aient presque deux ans. Je les emmenais à l'école tous les jours. Je leur préparais le petit-déjeuner, le déjeuner... J'étais présente.”

Mais Gisele n'a jamais été une “femme de”. Même après être entrée dans “la Vallée”, le surnom qu’elle donne à cette phase de sa carrière qu’elle a consacrée à son rôle de mère, les millions gagnés par son métier de mannequin – grâce à des contrats avec Pantene, Dior, Chanel et d'autres – auraient dépassé le salaire de son mari comme, du reste, pendant la plus grande partie de leur mariage. Dans le cadre de leurs activités extraprofessionnelles, Brady et Gisele ont tourné des publicités et investi des millions dans FTX, la bourse de crypto-monnaies de Sam Bankman-Fried, qui s'est récemment effondrée et pour laquelle Gisele a occupé la fonction de responsable des initiatives environnementales et sociales. “J'ai été prise au dépourvu”, me dit-elle. “Je suis comme tous ceux qui ont fait confiance aux médias.” Elle dit qu’elle n’est pas autorisée, légalement, à discuter des détails, mais croyait que FTX était “une initiative géniale et solide, d’après mes conseillers financiers. C'est tout simplement... terrible. Je suis vraiment désolée pour tout le monde, et je prie pour que justice soit faite.”

Malgré son très gros salaire, Gisele a expliqué que son travail était plus flexible que celui de son (ex-)mari. Comme beaucoup de femmes et de mères, elle a renoncé à une partie d'elle-même : “Je voulais construire la meilleure relation possible avec Tom, Jack et nos enfants”, écrit-elle dans ses mémoires de 2018, Lessons : My Path to a Meaningful Life. “J’aime la paix, et je cherche toujours à faciliter la vie, à créer l’harmonie pour les gens que j'aime.”

Pendant longtemps, c'était son mode opératoire, me confie-t-elle aujourd'hui, tandis que deux noix de coco fraîchement cueillies et percées de pailles en métal sont posées sur la table devant nous. Au fur et à mesure que leurs enfants grandissaient, ses aspirations se sont multipliées. “Vivi, mon bébé, a 10 ans maintenant, et elle est très indépendante”, dit-elle. “J'ai des rêves”, ajoute-t-elle. “J'ai mes rêves à moi.” Elle veut que ses enfants la voient les concrétiser : “Je veux leur montrer que, dans la vie, on doit trouver un véritable épanouissement, et non pas vivre la vie de quelqu’un d’autre.”

Brady a continué à collectionner les victoires même s'il est quasiment devenu le doyen du football professionnel. Les choses ont semblé s’accélérer, surtout après son départ pour Tampa en 2020. “Ma femme tient la maison depuis longtemps, et je pense qu'il y a des choses qu'elle veut accomplir”, a-t-il déclaré dans sur son podcast “Let's Go !” en octobre 2021. À peu près au même moment, dans une vidéo YouTube répondant à des questions de fans, notamment celle de savoir s’il pourrait jouer jusqu'à l'âge de 50 ans, son coéquipier Rob Gronkowski, lequel a ajouté : “La question est : est-ce que Gisele le laissera jouer jusqu'à 50 ans ?”

Quand leur mariage a officiellement pris fin l'année dernière, les médias et le public ont émis des hypothèses : tout cela s’était produit après que Brady avait décidé de ne plus prendre sa retraite. Mais les mariages ne se font pas, ni ne se défont en un jour, analyse aujourd'hui Gisele. “Il faut des années pour que cela se produise.”

Les gros titres ont présenté la Brésilienne comme une mégère rejetée, et ont supposé qu’elle lui avait posé un ultimatum : choisir entre sa carrière et son couple. Sauf que, selon l’intéressée, les choses ne sont pas du tout passées comme ça. Elle réfute ces propos qu’elle juge “très blessants”, et qui sont selon elle “la chose la plus ridicule que j'aie jamais entendue.”

“Je l'ai toujours encouragé et je continuerai à le faire”, insiste le top-model d’une voix pleine d'émotion. “S'il y a bien quelqu’un que je veux voir heureux, c'est lui, croyez-moi. Je lui souhaite de réussir et de s’épanouir. Je veux que tous ses rêves se réalisent. C'est ce que je souhaite, vraiment, du fond du cœur.”

Avec Jack, Benjamin et Vivian, Gisele était toujours présente lors des matchs de Tom. Pourtant, les tabloïds, avec leurs gros titres, “ont donné l’image que je n’aimais pas le football américain. C’est une blague ! Je connais toutes les règles ! Je disais toujours pour rigoler que je pourrais devenir arbitre tellement j’ai regardé de matchs. Et j'ai adoré ça.”

Les rumeurs concernant les pouvoirs magiques de Gisele se sont intensifiées lorsque Brady a divulgué en 2019 qu’elle lui construisait des autels avant les matches et lui donnait des “pierres de guérison” spéciales. Elle confirme qu'elle a préparé des bains floraux homéopathiques pour Brady “chaque fois qu'il traversait des moments difficiles, pour l'aider à calmer ses nerfs, car c’est quelqu’un qui a beaucoup d’énergie” et lui a donné un onyx, “une pierre de protection”, ainsi qu’une statue de la divinité hindoue Ganesha, qui aurait le pouvoir de faire disparaître les obstacles.

Mini short Ferragamo Chapeau Jacquemus.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Quand je demande à Gisele ce qui était mensonger dans les nombreux articles qui ont été écrits sur leur séparation, elle répond catégoriquement : “Tout.”

“Par exemple, j'aurais renoncé à mon rêve parce que...”, avance-t-elle avant de s'interrompre.

“Parce qu’il avait décidé de repartir pour une nouvelle saison ?” dis-je pour compléter sa phrase.

“Oui, les gens en ont vraiment fait tout un plat”, confirme-t-elle. “Ce qu’on a raconté, ce n'est qu'une pièce d'un puzzle beaucoup plus vaste”, me confiera-t-elle plus tard. “Ce n’est pas tout noir ou tout blanc.” Gisele rejette également les rumeurs selon lesquelles des questions politiques – on se rappelle la casquette “Make America Great Again” aperçue dans le casier de Brady en 2015 – les auraient éloignés. “Jamais”, affirme-t-elle.

Je ne crois pas qu'elle ou quiconque puisse résumer l’effritement d’un mariage qui a duré treize ans en l’espace de quelques heures, en bavardant avec une étrangère tout en sirotant une eau de coco. Ce que Gisele décrit, c'est un éloignement progressif entre Tom et elle – un éloignement qui avait commencé bien avant sa décision médiatisée de prendre ou non sa retraite. “Parfois, on évolue ensemble, parfois on s'éloigne l'un de l'autre” conclue-t-elle. “Quand j'avais 26 ans et lui 29, on s’est rencontrés, on voulait fonder une famille, faire des choses ensemble. Avec le temps, on s’est rendu compte qu’on voulait simplement des choses différentes, et on a dû faire un choix. Cela ne signifie pas qu’on n’aime pas la personne. Cela signifie simplement que pour être authentique et vivre vraiment la vie qu’on veut vivre, il faut que l’autre partage une partie de ce désir, n'est-ce pas ? C'est une danse. C'est un équilibre.”

“Quand on aime quelqu'un, on ne l’enferme pas en lui disant : “C’est comme ça que tu vas vivre.” On lui laisse la liberté d'être lui-même, et si on veut tous les deux voler dans la même direction, c'est fantastique.”

Dans l’idéal, la vie que Gisele aimerait mener – la pura vida, la vie simple – se trouverait au Costa Rica. “Mon rêve était d'élever mes enfants ici”, m’explique-t-elle. “Je n'ai pas eu l'occasion d'être ici autant que je l'aurais voulu, mais maintenant je les emmène plus souvent.” (Les deux enfants sont en partie éduqués à la maison.) Gisele a un “village” d'amis et de voisins. Le vendredi soir, ils préparent des pizzas sans gluten dans son for extérieur, puis tournent autour du foyer en tenant des bâtons et en partageant des histoires. Lors d’une soirée récente, le thème de la conversation était le courage. Gisele joue au pickleball avec Benjamin (“Benny”) et, tous les deux jours, fait des promenades à cheval avec Vivi ; elles montent leurs chevaux Pinta et Alcancía (“Tirelire”). Je me joins à elles pour leur promenade de l'après-midi jusqu'à la plage, tandis qu’elles progressent à travers les ruisseaux boueux, esquivant les branches de palmiers, pour que Vivi puisse galoper le long du rivage au soleil couchant. “Si je ne bougeais plus d’ici, dit-elle, je serais parfaitement heureuse.”

Gisele est en train de construire une toute petite maison fonctionnant à l'énergie solaire dans les montagnes où elle espère cultiver ses légumes. Elle envisage d'ouvrir un centre de bien-être à proximité, elle qui a longtemps initié ses proches à la réalisation de jus frais ou à la pratique de retraites silencieuses.  “Je veux faire des choses qui me semblent être un prolongement de ma personne”, explique Gisele. “Être mannequin ce n'est pas entièrement moi... C'est comme être une actrice dans un film muet.” À ce stade, “je n’ai plus envie d’être un personnage dans le film de quelqu'un d'autre. Quand ça se produit, je ne me sens plus très à l'aise.”

À partir de maintenant, Miami sera la “résidence principale” de la famille. Gisele a trouvé une maison au bord de l'eau à Surfside (elle attend patiemment que les travaux se terminent), où les enfants seront à proximité de la maison à 17 millions de dollars de leur père dans le village select d'Indian Creek, où les voisins s’appellent Ivanka Trump et Jared Kushner (elle n'a encore croisé ni l'un ni l'autre). “Miami me convient parce qu’il y a un vol direct pour le Brésil”, explique Gisele, dont les parents et les cinq sœurs, y compris sa jumelle Patricia, vivent encore là-bas. “Je vais aller davantage au Brésil”, confie celle qui parle souvent portugais à Benny et Vivi, s'efforçant de leur transmettre sa culture.

Après quinze ans de coparentalité avec Bridget Moynahan, on peut entrevoir comment Gisele gère la garde des enfants avec Tom et l’importance qu’elle donne au temps passé entre frères et sœurs. A-t-elle toujours eu de bonnes relations avec Bridget ? Je pose la question de manière un peu rhétorique. “Non !” s'empresse-t-elle de répondre. Les deux femmes ont attendu plus d'un an après la naissance de Jack pour se rencontrer, mais ont fini par passer de bons moments ensemble à New York, où vit l’actrice, et se sont même prises dans les bras l’une de l’autre, à Boston. “L'amour triomphe de tout”, conclut Gisele en parlant de Jack et sa mère. “Ma vie s'est beaucoup enrichie grâce à cette expérience, j ‘ai beaucoup appris.” La principale leçon qu’elle a retenue : “Rien ne vaut la peine de se disputer.”

C’est cette même philosophie sportive qui préside désormais à ses relations avec Tom Brady. “On ne joue pas l'un contre l'autre”, explique Gisele. “On forme une équipe” liée “pour toujours” par leurs enfants, “et c'est magnifique. Je regarde en arrière et je n'ai aucun regret. J'ai adoré tout ce que j'ai vécu.”

Gisele, son fils et sa fille ont toujours encouragé Brady jusqu'à ce qui s'est avéré être son dernier match (si sa deuxième retraite est vraiment la bonne) lors du tour des éliminatoires de la NFC, quelques jours avant notre rencontre. Les Cowboys de Dallas ont battu les Bucaneers, l'une des pires performances de Brady, mais Gisele n'a pas voulu en rajouter. “C'était dur, mais vous savez quoi ? Soyons honnêtes. C'est un sport d'équipe et on ne peut pas jouer seul”, dit-elle. “Je pense qu'il s'est très bien débrouillé dans les circonstances qui étaient les siennes. Franchement, il n'y avait aucune ligne offensive.”

Veste Alexandre Vauthier Maillot de bain Norma Kamali Chaussures Saint Laurent par Anthony Vaccarello.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Toute la famille s'épanouit, et Jack reste son enfant bonus. “Je l'aime tellement”, dit Gisele à propos de lui, qui poursuit le rêve de s’inscrire à l'université du Michigan, comme son père. Benny, qui alterne entre du temps passé avec ses amis et des révisions pour un contrôle de mathématiques, préfère dessiner sur son iPad, évite les jeux de ballons et pratique des sports comme le surf et le ski (la pression athlétique liée au fait d'être le fils de Brady a donné lieu à des brimades à Boston après un match de baseball, en particulier). Vivi, avec ses tenues tie and dye, est une jeune cavalière dont la ressemblance avec Gisele est si troublante qu'elle peut déverrouiller le Face ID de sa mère.

Ensemble, Gisele, Benny et Vivi se sont lancés dans le jujitsu : “Jack adore ça aussi, mais pratique moins parce qu'il n'est pas toujours avec nous.” Ils apprennent cet art martial sous la tutelle des frères brésiliens Pedro, Gui et Joaquim Valente, basés à Miami. La famille est tellement assidue qu'une salle entière lui est consacrée et que les professeurs les accompagnent souvent en voyage pendant quatre ou cinq jours.

“Ils sont comme des senseis”, dit Gisele à propos de cet incroyable trio et de leur philosophie du corps, de l’esprit et de l’âme. Jack et Benny étant désormais adolescents, la maman s'est demandé “comment les aider à rencontrer quelqu’un d’intègre qui peut leur enseigner des valeurs”. Pendant sept ans à Boston, Gisele a pratiqué le kung-fu, le combat à l'épée et au bâton, et ce jusqu'à son neuvième mois de grossesse.

Gisele et les enfants se sont sentis chez eux à l'académie des frères Valente. “Ce sont des gens formidables”, dit-elle. “Ils ont créé un espace où l’on est en sécurité.” Pedro, l'aîné, est “le philosophe”, tandis que Gui est “calme et posé”. Enfin, le plus jeune, Joaquim, donne des cours à la petite famille. On l’a vu dîner avec eux au Koji's, faire du jogging – et partager des AirPods – avec Gisele, se promener à cheval avec elle et un groupe d'enfants. Dans un Reel Instagram qu'elle a partagé l'année dernière et qui a depuis été vu plus de 9 millions de fois, Gisele, en gi blanc, apparaît en train de projeter au sol, bloquer la tête et maîtriser un frère Valente lors d’une séance de jujitsu.

Gisele élude allègrement les rumeurs selon lesquelles elle et Joaquim sortent ensemble : “Je pense qu’aujourd’hui, malheureusement, comme je suis divorcée, ils vont essayer de me caser avec n’importe qui !”, dit-elle à propos des tabloïds, avant de faire l'éloge de Joaquim, ainsi que de ses frères. “Je suis très heureuse de les connaître, car non seulement ils m'ont aidée et ont aidé mes enfants, mais ils sont devenus de grands amis, et Joaquim en particulier”, dit-elle. “C'est notre professeur et, surtout, c'est une personne que j'admire et en qui j'ai confiance. C'est tellement bien d'avoir ce genre d'énergie, de voir mes enfants entourés d’une énergie pareille.”

Quelques semaines après mon départ du Costa Rica, le Daily Mail publie un récit “exclusif” : il lie Bündchen au promoteur immobilier Jeffrey Soffer, un ami de Brady et résident d'Indian Creek (et l'ex-mari d'Elle Macpherson). Lorsque je joins Bündchen par téléphone, alors que l'histoire fait le tour d'Internet, elle est dévastée. Elle a passé la journée de la veille dans les montagnes, sans réseau cellulaire, puis a découvert ce qu'elle appelle un article “absurde”. “Je n'ai aucune relation avec lui, de quelque manière que ce soit”, dit Bündchen à propos de Soffer, ajoutant qu'elle ne l'a pas croisé depuis plus de six mois. “C'est l'ami de Tom, pas le mien.” Je dis à Bündchen que je me suis demandé si elle sortirait avec quelqu'un d'aussi proche de Brady. “Je ne serais pas avec son ami. Je ne sortirais pas avec ce type”, dit-elle. Je peux presque l'entendre grimacer. “Je veux dire, bon sang de bonsoir.” Elle n'a surtout pas apprécié que l'on insinue qu'elle était sortie avec Soffer, un milliardaire de 55 ans, par intérêt : “Ils disaient que je suis avec ce type, qu'il est vieux, parce qu'il a de l'argent - c'est ridicule.”

Bündchen et l'une de ses sœurs (qui a été la première à signaler l'article incriminé) soupçonnent que la rumeur a été montée de toutes pièces. “Qui en profite ? s'interroge Mme Bündchen. Pourquoi quelqu'un lancerait-il une telle rumeur ? Il n'y a qu'une seule raison. Ils veulent me faire passer pour ce que je ne suis pas.”

Ce qui fait vraiment craquer Gisele Bündchen - et la conduit à nouveau au bord des larmes - ce n'est pas seulement son soupçon que “des gens ont créé de fausses histoires à mon sujet depuis le début du divorce”, mais “la haine” qui se cache derrière cette campagne présumée. “Il n'est pas facile de voir des mensonges créés en permanence à son sujet.” Elle hésite entre en dire plus publiquement et décider de “prendre de la hauteur” pour le bien de leurs enfants. “Je suis une fille simple qui veut être dans la nature - laissez-moi tranquille. Je veux juste faire mon travail et élever mes enfants en paix.”

Dans leur salon dépourvu de murs, Gisele et Vivi acceptent de me donner une mini leçon d'autodéfense. Si un agresseur s'approche de moi de face, “tu lèves le pied et tu donnes un coup de talon”, conseille Vivi avec le plus grand sérieux - en visant, idéalement, le genou de l'agresseur.

“Bang !” fait Gisele en esquissant une démonstration au ralenti.

“Y a une fille qui a mis à terre un type énorme, juste en lui donnant trois coups de pied”, ajoute Vivi. “C’est Joaquim qui me l’a raconté.”

Le duo mère-fille se prend rapidement au jeu. “Qu'est-ce que tu vas faire, Vivi, si je t'attrape ?”, demande Gisele. Elle se met dans la peau d'une brute qui attrape la fillette par derrière. “Je ferais comme ça”, répond Vivi en s'élançant en avant pour attraper sa mère par les chevilles. Elles s’enroulent l’une contre l’autre, avec la même souplesse et les mêmes pieds aux orteils allongés, puis Vivi fait semblant de déséquilibrer sa mère pour la projeter au sol. Je suis persuadée qu’elle pourrait mettre à terre un homme adulte.

Gisele m'informe que l'on peut casser le nez de quelqu’un avec le talon de sa paume de main, mais l'objectif, c’est de ne jamais avoir à en arriver là. “Que dit Joaquim ?” demande Gisele à Vivi avant de répondre à sa propre question : “Ne jamais entrer en conflit.”

Je dis à Gisele que le jujitsu semble être une discipline très valorisante pour les femmes.

“Vous n'avez même pas idée.”

Body Alexander McQueen.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

À 5h30 le lendemain matin, Gisele - ainsi qu'Alfie et Onyx, deux de ses six chiens de sauvetage - se promène sur la plage en contrebas de sa maison. À l'horizon, une lueur rosée magnifique éclaire le rivage désert qui s'étend devant nous comme une plaque de verre réfléchissante. Cela ressemble un peu à la version cinématographique de l'au-delà. “Nous vivons soit au paradis, soit en enfer”, déclare la jeune femme en secouant la tête. “C'est un choix très important.”

C'est son rituel quotidien, qu’elle accomplit avant le réveil de ses enfants. Elle se lève à 4h30, au son de la musique “zen” de son portable, médite, puis écoute une prière de Devi de 21 minutes tout en effectuant quelques postures de yoga. “J'aime saluer le soleil et lui dire au revoir chaque jour”, dit-elle.

Il y a tellement de choses qu'elle a envie de faire. “Je vais vous confier quelque chose d’amusant”, me dit-elle. “L'un de mes rêves, c’est de jouer une super-héroïne.”

J’avais l’intention de demander à Gisele si cette nouvelle phase de sa vie allait inclure le cinéma, citant sa mémorable apparition dans Le diable s'habille en Prada. “Vous vous rendez compte... J’ai été sur le plateau environ deux heures et demie et qui était à mes côtés ? Meryl Streep, Emily Blunt et Anne Hathaway !”

Mais non, précise-t-elle, elle ne veut pas jouer la comédie. “Je veux juste jouer une super-héroïne”, répète-t-elle avec un rire rauque – peut-être She-Ra, Princesse du Pouvoir, la super-héroïne toute-puissante maniant l'épée et chevauchant une licorne, gravée dans le cœur de tous les enfants des années 1980, partout dans le monde. Elle s'est sentie inspirée lorsqu'elle a emmené son fils et sa fille voir Wonder Woman. “Est-ce que je peux me prouver que nous, les femmes, on peut être aussi fortes ? Pourquoi pas ? Dans la mode, les gens plaisantaient avec moi en disant que j'étais Sporty Spice parce que j'étais toujours celle qui faisait des acrobaties et des sauts dans tous les sens.” Mais elle a autre chose en tête : “Honnêtement, j’ai aussi envie que ma fille me trouve cool.”

Ses enfants ignorent encore largement l'héritage qu'elle leur a laissé. Au Brésil, son pays d'origine, quand “tout le monde m'arrête dans la rue, ils me disent : “Maman, pourquoi ils font ça ?”” Elle ne prend pas la peine de leur montrer de vieilles couvertures de magazines. La nouvelle campagne de Louis Vuitton pour la collection capsule de l'artiste contemporaine Yayoi Kusama, réalisée par Steven Meisel, son collaborateur habituel, met en scène Gisele, torse nu et en jeans. À ses côtés, des stars de longue date ou plus récentes, parmi lesquelles Christy Turlington, Liya Kebede, Devon Aoki, Bella Hadid et Karlie Kloss. Elle déclare ne pas vraiment connaître les “It girls” d'aujourd'hui, c'est-à-dire les Kendall et les Hailey.  “J'ai vécu à Boston pendant treize ans”, précise-t-elle.

Body Alaïa Casquette Courrèges.Photographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Pour Anne Nelson, son agent depuis longtemps, le fait de relancer sa carrière de mannequin signifie qu'il y aura d'autres “grands moments de mode” à venir. “Le monde lui appartient.” Elle affirme que Gisele a envisagé de créer une ligne de vêtements de sport qui reflèterait son esthétique minimaliste. Et Anne Nelson a reçu “un million de demandes pour qu'elle participe à des défilés à Paris”. “Ils continuent à lui demander, juste au cas où elle aurait changé d'avis.” (Et l’intéressée d’ajouter : “Je ne dis jamais jamais, parce que la seule chose dont je suis certaine dans la vie, c'est qu’elle change”).

Le statut de la star s’est maintenu, même pendant la période où elle a volontairement ralenti. Récemment, une couturière lui a dit que ses mensurations étaient identiques à celles d'un mannequin. Par rapport aux époques passées, “l'âge est beaucoup mieux accepté”, explique Nelson, qui cite Kristen McMenamy, 58 ans, Naomi Campbell, 52 ans, et Kate Moss, 49 ans, toutes encore en activité. “Les gens considèrent ces mannequins emblématiques comme les muses ultimes”, ajoute-t-elle. “L'âge ne compte même plus.”

Gisele a passé la majeure partie de sa vie dans la mode, mais ses premiers souvenirs dans ce milieu semblent avoir été légèrement traumatisants. Fille de Vânia, conseillère bancaire, et de Valdir, qui a travaillé dans l'immobilier avant de devenir sociologue, elle a été élevée dans une famille de la classe moyenne qui travaillait dur, dans la ville d'Horizontina, au sud du Brésil. Si elle voulait une poupée, elle devait attendre son anniversaire pour l'obtenir. “Toutes les filles allaient chez leur grand-mère, marchaient pieds nus sur le chemin de terre et traînaient avec les poules”, me raconte Nelson - le genre d'enfance que la top model tente aujourd'hui de recréer pour ses enfants au Costa Rica.

Quand elle se bagarrait avec ses frères et sœurs, Gisele ne lâchait rien : “Elle avait le pouvoir de mettre fin à la bagarre”, m'a dit sa sœur jumelle, Patricia, par mail. Pourtant, “c’était difficile pour Gise de grandir dans une petite ville, elle était mince et grande”, ajoute Patricia. “Elle ne se sentait pas à sa place. Mais quand l'occasion de devenir mannequin s'est présentée, elle a tout de suite senti que c’était pour elle.”

Au lieu d'aller au lycée, Gisele, alors âgée de 14 ans et mesurant déjà 1,80 m, s'est rendue à Tokyo pour travailler sur des catalogues. Avec cinq autres filles à la maison, Vânia ne pouvait pas l’accompagner. “Elle n’avait peur de rien”, commente Patricia à propos de sa sœur, “elle a quitté la maison à 14 ans, toute seule, sans parler anglais.” Aujourd'hui, maman d'un enfant de 13 ans, elle a l'impression d'avoir été catapultée trop tôt dans l’âge adulte. “Je jouais avec des Barbie à 13 ans et à 14 ans, j’étais au Japon, sans ma famille”. Elle a réussi à survivre (elle aidait sa famille à cuisiner et à faire le ménage depuis l'âge de sept ans), mais elle s'est sentie “seule au monde”.

À l'adolescence, elle a vécu dans des “appartements de mannequins” célèbres à New York, entourée de cocaïne et d'héroïne. “J'ai vu des choses du genre : ce qui ne te tue pas vous rend plus fort”, confie-t-elle. “Je dis toujours que mes anges gardiens sont très puissants.” Comme le veut la tradition de la mode, Gisele a percé en 1998, à l'âge de 18 ans, en défilant pour la collection printemps-été d'Alexander McQueen, sous une fausse pluie battante, exhibant ses seins nus dans un crop top blanc peint sur sa peau. En exposant ce corps – son corps – elle a mis fin à l'idéal de la maigreur pour laisser entrevoir quelques formes, mais elle a déclaré que ce défilé avait été l'un des moments les plus traumatisants de sa vie. McQueen avait prévu qu'elle défile seins nus (sans peinture) et, parlant à peine l'anglais, Gisele était incapable de se défendre.

Elle fait allusion aux coulisses du milieu : “Les choses que j'ai vues et les situations auxquelles j'ai échappé simplement parce que j'ai la foi...” dit-elle avant de s’interrompre. Le mannequin se souvient du traitement dégradant infligé par les stars de la mode aux égos surdimensionnés (mais ne cite aucun nom), des horreurs qu’on lui a balancées au visage, d'avoir été traitée “comme si vous étiez un objet... comme si vous n'aviez pas de sentiments”, se souvient-elle. “Il faut survivre à cela...” Sa voix tremble et ses yeux se remplissent à nouveau de larmes. “C'est beaucoup d’émotions. Je suis très sensible et quand je m'en souviens, j'ai l'impression de le revivre.” Lorsque je lui demande ce qui la fait pleurer, elle répond simplement : “La violence de la situation”. Elle aurait pu arrêter, mais “je ne voulais pas rentrer chez moi la queue entre les pattes”, explique-t-elle. “Mes parents me faisaient confiance. Je voulais leur montrer que je pouvais le faire. Je ne voulais pas échouer.”

Lorsqu'elle a commencé à souffrir de crises de panique au début de la vingtaine, elle s'est tournée vers le yoga, la méditation et a multiplié les voyages au Costa Rica. Une petite voix m'a dit : “Je ne vais pas subir. Je ne vais pas rester assise là et me dire : “Pourquoi on me traite comme ça ? Pourquoi on me demande de rester debout, nue, pendant huit heures d’affilée, sans boire ni manger ? Pourquoi est-ce qu’ils sont si méchants ? J'aurais très bien pu me demander si je valais quelque chose.””

Selon sa jumelle, Gisele s'est accrochée à ses valeurs familiales et à la simplicité de son éducation. “Elle ne s’est jamais laissé aveugler”, dit Patricia.

Au contraire, du haut de ses talons aiguilles, Gisele a tenu bon. “J'aurais pu me tourner vers la drogue. J'aurais pu choisir de faire la fête. J'aurais pu choisir de laisser ces harpies me sucer le sang”, explique-t-elle, “mais je m'en suis sortie. Je n'étais pas brisée.”

Le soleil se lève sur la plage, ce qui signifie qu'il est temps pour elle de s’offrir un moment de contemplation. Elle ferme les yeux, lève le menton vers le ciel et inspire profondément, laissant sa chaleur rayonner sur son visage.

“Question : Avez-vous des problèmes pour aller aux toilettes, ou non ?”

Gisele s'enquiert de l'état de mon système digestif parce que cela détermine les ingrédients qu'elle ajoutera à la série de smoothies matinaux qu'elle prépare pour la maisonnée - autre rituel quotidien après la promenade sur la plage et la salutation au soleil. “Les bananes constipent davantage et les papayes plus laxatives”, explique-t-elle en faisant des allers-retours entre un Vitamix et un extracteur de jus dans sa cuisine, avant d’indiquer les hurlements qui nous parviennent de l'extérieur. “Vous entendez les singes ?”

Les fruits et légumes cueillis dans son jardin à flanc de colline font le bonheur de Gisele. Elle prévoit de partager ses recettes dans un livre de cuisine, prochainement. “Mon but est de simplifier les choses au maximum”, dit-elle. Sa récolte, qui s'étale en grande partie sur son plan de travail, comprend des “petites bananes”, des “bananes maigres” et des cuadrados, une banane locale courte et grasse ; deux types de chou frisé (tendre et croquant) ; du yucca (“Nous faisons des chips de yucca”) ; des poivrons verts (“Nous avons préparé ces poivrons hier soir avec de l'huile d'olive et du sel”) ; et des pitanga. “Vous avez déjà mangé des pitanga ?” Gisele me tend un petit fruit qui ressemble un peu à une cerise.

La cuisine est en pleine effervescence : elle sert des smoothies à ses enfants, à Jordan (l'un des professeurs des enfants), à la “dame” de Jordan, à “las chicas” (deux femmes qui préparent le repas dans la cuisine) et à moi. Elle a construit cette maison pour pouvoir accueillir du monde, principalement sa grande famille brésilienne. Mais la casita est son “sanctuaire”, dit-elle en m'y conduisant par un petit sentier en pierre.

C’est un magnifique endroit, tout en lignes épurées de bois blond qu'elle a conçu elle-même, flanqué de bananiers et de papayers, d'une piscine à jets d'eau froide et d'un jacuzzi pour une personne creusé dans le sol, à l’extérieur. Sa “petite maison” de 80 mètres carrés qui comprend une chambre est “100 % hors réseau”, annonce fièrement Gisele en montrant l'unique ampoule électrique qui pend au-dessus d'un îlot de cuisine tapissé de livres. Les titres vont du spirituel au pseudo-scientifique : l'auteur néo-chamaniste Don Miguel Ruiz (aucun lien de parenté) ; Sextrology : The Astrology of Sex and the Sexes (Gisele est du signe du Cancer, tournée vers sa famille) ; The Miracle of Water de Masaru Emoto, qui affirme qu’en susurrant des mots positifs à de l’eau (comme “espoir” ou “adoration”), ils ont le pouvoir de former des cristaux semblables à des flocons de neige, tandis que les mots négatifs (comme “laid”, “sans espoir”) créent des cristaux troubles. C’est intéressant car c’est lié à la façon dont les gens s'adressent à eux-mêmes et aux autres, affirme la Brésilienne, car “nous sommes essentiellement faits d'eau.”

Haut Dior Bas de maillot de bain Norma Kamali Bracelet Saint Laurent par Anthony Vaccarello. Pour toute la séance: maquillage Chanel Manucure Chanel Le VernisPhotographie Lachlan Bailey; stylisme George Cortina

Des cristaux ornent l'intérieur et l'extérieur, dont un morceau d'améthyste violette et un ange en sélénite blanc, dont Gisele dit qu'il “nettoie l'énergie” (sans doute les énergies négatives), est posé sur sa table de chevet. Le linge de lit est d’un blanc impeccable et un foulard Hermès orné d’un élégant motif léopard est noué, posé au bord du lit (Vivi a dormi avec elle ces derniers temps). Au-dessus du lit une photo aérienne surdimensionnée en noir et blanc est accrochée, montrant la jeune femme sur sa planche de surf, toute petite face à l'immensité de l'océan. D’un tiroir profond de sa table de chevet, Gisele sort l'Oracle Kuan Yin, une collection de cartes féminines de type tarot centrées sur la déesse bouddhiste de la miséricorde et de la compassion. Deux jours auparavant, elle avait tiré la carte de la “dynastie de la mère divine”, qui l'invitait à “regarder ce qui se passe dans sa vie”, lit-elle tandis que de l'encens brûle sur la table en cèdre devant nous, “et à croire que l'on progresse à la perfection.”

“C'est pour ça qu'on m'a traitée de sorcière, j’imagine”, suggère-t-elle en riant, regardant les cartes devant nous. Cela ne la met pas en colère, au contraire elle est prête à affronter les procès en sorcellerie. “Si vous voulez me traiter de sorcière parce que j'aime l'astrologie, les cristaux, parce que je prie et que je crois au pouvoir de la nature, allez-y.” L’ancienne catholique pratiquante qu’elle a été a fait de ses penchants mystiques son évangile, qui s’est révélé être un baume et une source de force lorsqu'elle en a eu le plus besoin.

Elle croyait aux contes de fées, mais plus maintenant. “Personne ne viendra vous sauver”, affirme-t-elle. “Ne donnez jamais votre pouvoir à qui que ce soit. C'est votre vie. C'est votre film. C’est vous le réalisateur.”

Après notre entretien, Gisele, Vivi et Benny sont rentrés à Miami, mais elle pensait encore à l'oiseau blessé qu'elle avait aidé au Costa Rica. Quelques jours plus tard, elle a cherché sa signification sur Google et m'a envoyé une capture d'écran. “Voir un rouge-gorge nous encourage à nous débarrasser de ce qui est négatif dans notre vie”, avait-elle entouré en jaune, “et à entrer dans une nouvelle phase plus heureuse.”

“Le rouge-gorge, avait-elle souligné, symbolise les nouveaux départs.”

Gisele Bündchen en couverture de Vanity Fair. En kiosques le 31 mai 2023.

Lachlan Bailey

Coiffure : Shay Ashual ; maquillage : Diane Kendal ; manucure : Kristina Konarski ; scénographie : Belinda Scott. Produit sur place par Select Productions.