Maria Schneider, le destin tragique de l'actrice du Dernier tango à Paris

Marquée à tout jamais par son rôle dans Le Dernier tango à Paris, et une scène de viol d'une grande brutalité, Maria Schneider est le sujet d'un film réalisé par Jessica Palud. Retour sur le parcours de cette comédienne libre et vulnérable.
Maria Schneider et Marlon Brando sur le tournage du Dernier tango à Paris
Maria Schneider et Marlon Brando sur le tournage du Dernier tango à Paris.Bettmann/ Getty Images

«J’ai pas eu le choix, je vous dis. » Assise devant un journaliste, Maria Schneider laisse tomber le masque lorsqu’on l’interroge sur une scène d’agression sexuelle figurant dans Le Dernier Tango à Paris. Au lieu de feindre la bonne entente sur le tournage, elle révèle de but en blanc que ce passage a été improvisé sans son consentement par le réalisateur, Bernardo Bertolucci et son partenaire à l’écran, Marlon Brando. « Mes larmes étaient vraies », explique-t-elle au reporter, décontenancé par sa franchise. Cet entretien est mis en scène dans Maria de Jessica Palud, actuellement en salles, qui revient sur l’histoire tragique de la comédienne interprétée à l'écran par Anamaria Vartolomei. Comme un rappel qu’elle a longtemps crié au monde sa détresse, alerté des dysfonctionnements dans le monde du cinéma, sans jamais être entendue.

Qui était vraiment Maria Schneider ? Pour répondre à cette question, Jessica Palud adapte le livre Tu t'appelais Maria Schneider, écrit par Vanessa Schneider, journaliste et cousine de la star. Un livre intimiste qui évoque sa jeunesse auprès d’une mère distante, le mannequin Marie-Christine Schneider, avant d’explorer ses premiers pas au cinéma. Fille illégitime de l'acteur Daniel Gélin, Maria est introduite dans les petits cercles du 7e art français en renouant, à l’adolescence, avec son père. Elle rencontre Alain Delon, qui l'invite sur le tournage de l'un de ses films, et l'aide à décrocher son premier rôle en 1969 dans Madly. Elle devient l'une des protégées de Brigitte Bardot, qui l'héberge alors qu'elle est sans domicile, et fait la fête avec tout le gratin de la nuit parisienne chez Castel ou à La Coupole.

Un tournage éprouvant

En voyant une photo de Maria Schneider prise en soirée, Bernardo Bertolucci songe à lui donner le premier rôle féminin du Dernier tango à Paris, après avoir essuyé un refus de Dominique Sanda. L'adolescente y voit une opportunité en or, même si le scénario lui semble, au premier abord, très cryptique. Le film met en scène la passion amoureuse entre une jeune femme d'une vingtaine d'années et un quadragénaire américain. Il comporte de nombreuses scènes de nu ou d'intimité. Mais comment refuser de tourner pour Bertolucci, fraîchement auréolé du succès du Conformiste, et de donner la réplique à l'icône Marlon Brando ? Le tournage est éprouvant pour la jeune femme qui enchaîne les journées à rallonge, et se retrouve exclue de toute prise de décision. Pour Bernardo Bertolucci, Le Dernier tango à Paris manque d'une scène choc qui cimenterait la réputation sulfureuse du film.

Un jour, le cinéaste et Marlon Brando ont l'idée d'une scène de viol : il plaque Maria au sol, et utilise du beurre comme lubrifiant. « La scène du beurre est une idée que j’ai eue avec Brando le matin du tournage, confirmait Bertolucci en 2013 à la Cinémathèque Française. Je ne voulais pas que Maria joue l’humiliation et la colère, je voulais qu’elle ressente l’humiliation et la colère. » À l'écran, les larmes de la jeune femme sont réelles. De rage, elle casse tout sur le plateau. « J'aurais dû appeler mon agent ou demander à mon avocat de venir sur le plateau, parce qu’on ne peut pas forcer quelqu'un à faire quelque chose qui n'est pas dans le scénario, mais à l'époque, je ne le savais pas », confiera-t-elle en 2007 au Daily Mail. Elle est surtout terriblement seule dans sa détresse : « Marlon m'a dit : “Maria, ne t'inquiète pas, c'est juste un film” (…) Je me suis sentie humiliée et, pour être honnête, un peu violée, tant par Marlon que par Bertolucci. Après la scène du “beurre”, Marlon ne m'a pas consolée et ne s'est pas excusé. »

Vent de scandale

À sa sortie en 1972, Le Dernier tango à Paris fait scandale, pour le plus grand bonheur de Bernardo Bertolucci. Pendant que Marlon Brando se terre, après s'être senti émotionnellement manipulé sur le tournage et poussé à la confession, le cinéaste italien et Maria Schneider sont seuls à défendre le film. Cette exposition soudaine est brutale pour la jeune actrice. Elle ne reverra plus jamais le réalisateur italien après cette expérience. Elle devient l'objet de moqueries et reçoit des propositions de rôles similaires. Des rôles de femmes folles, précise-t-elle dans le documentaire Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig. Elle qui rêve plutôt de comédies et de légèreté. Pour oublier, elle multiplie les aventures, se réfugie dans les fêtes, l'alcool et les drogues dures, jusqu'à frôler la mort.

Maria Schneider continuera d'apparaître sporadiquement à l'écran, sans retrouver la gloire, puis met fin à sa carrière après un rôle en 2008 dans Cliente de Josiane Balasko. Elle meurt en 2011 d'un cancer. Cinq ans plus tard, à la faveur d'un article de l'édition américaine de ELLE, la vidéo de Bertolucci à la Cinémathèque française, évoquant la fameuse scène de viol, refait surface. Les temps ont changé, ses propos font scandale, un an avant #MeToo. Publié en 2018, le livre de Vanessa Schneider rend un hommage posthume - et plein d'affection - à l'actrice, mais met aussi en lumière la femme qu'elle était au-delà dans l'intimité. « Personne n'a écrit [à ta mort] que tu étais partie en buvant du champagne (…) Tu t'en es allée au milieu des bulles, des éclats de rire, de visages aimants et de sourire pétillant. Debout, la tête haute, légèrement enivrée. Avec panache. »