Série : « Normal People », coup de cœur et coups durs

De l'adolescence au début de la vie d'adulte, « Normal People » décortique la relation entre un garçon et une fille issus de deux milieux sociaux différents. Une romance bouleversante, et un portrait saisissant de la jeunesse de la fin des années 2010.
Normal People est la plus belle srie que vous verrez cette anne
« Normal People » / BBC 3 / 2020

Au début, il y a un roman, un succès rédigé par la plume de l’auteure la plus en vue du moment : Sally Rooney. Adoubée par les stars (de Sarah Jessica Parker à l’écrivaine Zadie Smith, en passant par Lena Dunham), la romancière irlandaise avait déjà bouleversé son petit monde avec un premier roman, Conversations entre amis(2017). Normal People, son second opus (qui n'a pour l'instant hélas pas été traduit en français), s’intéresse de près à une relation banalement compliquée entre deux adolescents, de la fin du lycée à la fac, puis aux premiers pas dans le monde adulte.

Publié en 2018, Normal People a déjà eu droit à une adaptation, diffusée sur les écrans britanniques et américains en avril dernier. Ce 16 juillet, la série arrive en France sur la plateforme Starzplay (disponible notamment via Prime Video, le service d’Amazon). Rarement l’essence d’un livre n’a été aussi bien retranscrit à la télévision. Tout y est : la confusion des sentiments, l’amour et ses limites, la lutte des classes. Cerise sur le gâteau, la série est porté par un duo charismatique au possible, Daisy Edgar-Jones et Paul Mescal, deux révélations que l’on espère revoir très vite.

Si Normal People brille par son écriture, c’est sûrement parce que la production a fait appel à la romancière pour écrire les six premiers épisodes de la série. Une manière de s’assurer que ce projet, qui lui tenait tant à cœur, se lance dans des conditions idéales. Les six derniers, eux, ont été confié à d’autres scénaristes. « C’est tellement intéressant, pour une romancière, de se dire : “Voici toute une équipe de gens créatifs, qui ont chacun leurs propres intérêts.” Quand j’écris, mes caprices sont rois. L’idée d’un projet collaboratif est totalement neuf pour moi », racontait-t-elle à Vanity Fair en avril 2019.

Marianne (Daisy Edgar-Jones) est une jeune fille pas vraiment populaire, plutôt solitaire, mais issue d’une famille très aisée. Sa mère fait d’ailleurs appel à une femme de ménage, et le fils de cette dernière, Connell (Paul Mescal, qui fait ses premiers pas à l’écran) passe souvent chercher sa mère en voiture à la fin de ses journées de travail. C’est durant ces quelques moments, où l’adolescent attend que sa mère finisse ce qu’elle a à faire, que Marianne et Connell apprennent à se connaître. Rapidement, un lien se forme, puis un semblant de relation. Avec une règle : ce qu’ils font ensemble n’est qu’à eux, et il ne faut pas le partager avec le reste de leur cercle social – du moins, celui de Connell, puisque Marianne n’en a pas vraiment.

La confusion des sentiments

Ce contrat toxique va marquer les bases de la relation entre les deux adolescents au lycée : le secret, d’abord intriguant, qui laisse place à l’impossibilité de vivre son amour sans se confronter aux diktats de la popularité et du conformisme social. Mais arrivés à la fac, l’équation s’inverse. On entre dans la vraie vie ; celle où être le plus beau garçon du lycée ou doué en sport ne suffisent pas à grimper en haut de la chaîne alimentaire. Surtout quand on vient d’une classe ouvrière, et que l’on se confronte aux affres illusoires de la méritocratie.

« Normal People » / BBC 3 / 2020

Outre son histoire d’amour bouleversante, Normal People est, comme son titre l’indique, une histoire sur des gens ordinaires, habités par des névroses banales, mais pourtant bien réelles. À travers Marianne, on touche du doigt les questions de féminité et de sexualité, de violences au sein de la sphère familiale, de l’importance de reprendre possession de son corps. Avec Connell, Normal People dissèque la masculinité des millennials, encore en esquisse, prise entre deux mouvements : le stéréotype viril du siècle dernier et l'idéal nouveau de l'homme en adéquation avec ses émotions. Puis les problématiques propres à tout transfuge de classe : le syndrome de l’imposteur, la peur de ne pas suivre, la gêne, lorsqu’il faut demander de l’argent à un·e ami·e, voire un lit où dormir quelques mois. Et, finalement, la dépression, telle qu’elle est rarement montrée à l’écran quand on pense aux jeunes comme Connell, ces mâles alpha à qui tout semble sourire, et qui se retrouvent tout de même en pleurs sur la chaise d’un psy (la plus belle scène, peut-être, de cette série).

Sur la forme, Normal People brille tout autant : la réalisation (par Lenny Abrahamson, à qui l’on doit Room, et Hettie Macdonald), épurée au possible, est là pour faire briller les deux protagonistes. On touche au cinéma indépendant, avec une photographie intimiste, des notes de Guadagnino – notamment quand le duo arpente les routes italiennes à dos de bicyclettes – et une bande-son superbe, où Elliott Smith, Caribou, Frank Ocean, Carly Rae Jepsen et Imogen Heap se tutoient à la perfection. La série ne se laisse pas séduire par le format des épisodes d’une heure, tellement à la mode ces dernières années, et c’est tant mieux : douze épisodes de trente minutes suffisent pour plonger tête la première dans une étude lente et minutieuse d’une relation émotionnelle et physique sur plusieurs années : ses non-dits, les actes manqués, les moments décisifs où l’on n’a pas su dire ce qu’il fallait.

Normal People, 12 épisodes, disponibles ce jeudi 16 juillet sur Starzplay

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