Littérature : Sally Rooney, la romancière qui murmurait à l'oreille des millennials

Avec « Conversations entre amis » et « Normal People », Sally Rooney a pris le monde littéraire d’assaut. Prochaine étape pour la romancière ? Voir son second roman prendre vie, avec une toute nouvelle série.
Pourquoi il faut lire Sally Rooney l'auteure la plus en vue du moment
Simone Padovani/Awakening/Getty Images

Depuis quelques mois, impossible de faire un tour chez son libraire sans y voir ses deux romans, aux couvertures acidulées. Sally Rooney, 28 ans, est devenue en l’espace de trois ans le nom sur toutes les bouches un tant soit peu férues de lecture. Son premier roman, Conversations entre amis, arrive sur les étagères dès 2017. Elle y dissèque la relation entre Frances et sa meilleure amie Bobbi, alors qu’elles pénètrent dans le quotidien d’un couple marié. C’est un succès : les stars se l’arrachent, de Sarah Jessica Parker à l’écrivaine Zadie Smith, en passant par Lena Dunham, pour qui l’Irlandaise est sa « nouvelle romancière préférée de fiction moderne ». Il n’en fallait pas plus : Sally Rooney devient la voix la plus cool du moment. Nos confrères américains s’emballent : le très réputé New Yorker la qualifie de « première grande romancière millennial », et la radio RTE parle de la « Salinger de la génération Snapchat ». Les ventes suivent, et Conversations entre amis s’offre la troisième place des ventes aux États-Unis dès sa sortie.

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Pour l’instant, la recette du succès de Rooney est simple : ses deux livres mettent en scène de jeunes adultes irlandais, en proie aux habituels émois sentimentaux et relationnels des vingtenaires. Son second roman, Normal People, s’intéressent à une relation toxique et complexe entre deux lycéens, que l'on suit, main sur le cœur, jusqu’à la fin de l’université.

Le talent de Sally Rooney réside dans son approche réaliste, quasi-naturaliste des relations. Une dépiction honnête de la jeunesse de la fin des années 2010, celle toujours aussi tourmentée par ses passions amoureuses, mais qui ne se laisse pas définir par ces dernières. « Je ne crois pas vraiment à la notion d’individualité », expliquait-elle au New York Times en août 2018. « Je me retrouve constamment attirée par l’idée d’écrire sur l’intimité, et sur la façon dont nous nous construisons les uns les autres. » Les protagonistes de Sally Rooney sont multidimensionnels, savent que leurs relations ne peuvent être analysées sans qu'interfèrent les classes sociales dont ils sont issus et dont ils ne peuvent se détacher. Tout est en adéquation avec son temps : la masculinité est étudiée minutieusement, pour mieux en dévoiler les failles et les limites ; les personnages féminins portent en eux le poids des attentes d’une société patriarcale qui se fissurent mais ne flanche pourtant pas. Le sexe est libérateur mais complexe. Les pulsions ne sont pas toujours comprises. On est hétéro, bi, ouverts, réactionnaires ; ce n’est pas une jeunesse fustigée ni idéalisée. C’est la jeunesse.

Bons baisers de Dublin

C’est Normal People, son second livre qui a droit à une adaptation express. Publié en 2018, il arrive (déjà) sur les écrans américains (via la plateforme Hulu) et britanniques (sur la BBC) dimanche 26 avril. Pas vraiment prête à confier ses petits à une bande d’étrangers, Sally Rooney a écrit les six premiers épisodes de la série. « C’est tellement intéressant, pour une romancière, de se dire : “Voici toute une équipe de gens créatifs, qui ont chacun leurs propres intérêts.” Quand j’écris, mes caprices sont rois. L’idée d’un projet collaboratif est totalement neuf pour moi », explique-t-elle à Vanity Fair. Pourtant, l’auteure a tout de même laissé l’écriture des six derniers épisodes de Normal People à d’autres talents.

Dans ses romans, la religion est quasi absente – on visite une église pour un enterrement dans Normal People, mais c’est à peu près tout. Sally Rooney était pourtant dans un lycée catholique strict, où l’on tentait d’effrayer les jeunes filles pour qu’elles restent chastes (jusqu’au référendum de mai 2018, l’avortement était encore interdit en Irlande). Grand bien lui fasse, elle exclura les principes sacro-saints de ses œuvres, mettant en scène des femmes bisexuelles, ou d’autres, comme Marianne dans son second roman qui flirte avec le bondage et le SM. C’est ensuite au renommé Trinity College de Dublin qu’elle fait ses armes, anime une équipe de débat – elle est la « top debater » d’Europe – et aiguise sa compréhension du socialisme, hérité de ses parents.

Désormais, Sally Rooney peut se targuer d’être l’auteure anglophone la plus en vue du moment. En 2017, déjà, le Sunday Times la nommait « Young Writer of the Year ». Un an plus tard sortait Normal People, qui remportait le prix du roman de l’année du côté de l’Irish Book Awards et du Costa Book Awards. Elle ne compte pas s’arrêter là : le 23 avril 2019, on apprenait que Sally Rooney travaillait sur un nouveau roman « examinant les crises esthétiques et politiques », intitulé Beautiful World, Where Are You. Il semblerait qu’elle l’ait déjà trouvé.

Normal People, saison 1, dès le 26 avril sur Hulu