Les livres de l'été 2024, selon «Vanity Fair»

Mirwais, Caroline Bouffault, Chloé Delchini … «Vanity Fair» a sélectionné huit livres marquants de ce début d’année à lire au soleil.
Une lectrice certainement ravie de dcouvrir l'excellente histoire du groupe Taxi Girl raconte par son guitariste Mirwais .
Une lectrice certainement ravie de découvrir l'excellente histoire du groupe Taxi Girl, racontée par son guitariste, Mirwais (illustration).Kathrin Ziegler/Getty Images

L’été ? Le moment idéal pour lire, pour s’attaquer à cette pile d’ouvrages qui touchera bientôt le plafond, pour oublier un quotidien morose et cette actualité sinistre. Vanity Fair vous propose quelques conseils littérature, avec des livres parus ce premier semestre 2024 et toujours sur les étals des libraires avant qu’ils ne se fassent chasser par la vague de la rentrée littéraire de septembre. Idéal pour lire dans un Ouigo s’il n’y a pas d’enfant très bruyant dans les parages, à la plage s’il n’y a pas trop de vent, sur un transat après s’être enduit d'indice 50 ou après une bonne sieste de trois heures.

Taxi Girl de Mirwais

Ceci n’est pas une biographie autorisée et laudative, censée faire office de couche de verni sur un monde englouti. Ceci est un texte littéraire. Avec une langue, une écriture orale pleine d’argot qui sied bien à son sujet. C’est l’histoire de jeunes éclopés, plongés dans un chaos permanent, drogue à tous les étages et bagarres de fin de soirées. Sans le savoir, sans même vraiment le vouloir, ils vont créer un mythe bref du rock et nous laisser quelques titres Mannequin, Paris, Aussi Belle Qu’une Balle, qui disent une époque. Voilà l’histoire de Taxi Girl, enfin le récit éclaté des débuts, 1978-1981. Mirwais, l’auteur, est alors un jeune afghan réfugié en France, guitariste approximatif mais musicien affamé. Le hasard va le mener à constituer un groupe avec un chanteur passé à la postérité, Daniel Darc, Laurent Sinclair (claviers), Stéphane Erard (basse) et Pierre Wolfsohn (batterie). Des « jeunes gens modernes » comme le veut l’expression consacrée, beaux garçons mais surtout maudits. Ils ne goûteront jamais le succès tous ensemble, Pierre Wolfsohn succombant à une overdose à l’été 1981, pile au moment où la chanson Cherchez le garçon devient un tube. 
On adore quand Mirwais rhabille quelques-uns de ses comparses avec une plaisante mauvaise foi (s’ils ont rajouté des chœurs féminins sur le refrain de Cherchez le garçon, c’est parce que Daniel Darc chantait comme Raymond Barre), toujours lucide sur sa génération. « Aucun hipster ou “branché” du fond d’un club élitiste parisien n’a jamais changé le monde […] Je n’ai jamais vu ces noctambules qui se prenaient en photo et qui se défonçaient (en même temps que nous soit, mais pas de la même manière) se soucier de quoi que ce soit d’autre qu’eux-mêmes. Pas de la guerre en Afghanistan en tout cas. C’est leur droit de raconter leur histoire, après tout je raconte bien la mienne ici, mais je tenais à préciser le rôle des “Palace-Vets” et de leur influence microscopique sur la société. » HW

Taxi Girl de Mirwais, Séguier, 256 pages, 21 euros

Un ciel bleu comme une chaîne de Valérie Van Oost

C’est une rencontre entre deux femmes que tout semble opposer. Laure, avocate commise d’office, qui se plaît dans un mode de vie bourgeois, est chargée de défendre Kathy. La surveillante de prison est impliquée dans une affaire de banditisme, digne des séries télé dont elle s’abreuve. Avec ce troisième roman, Valérie Van Oost s’inspire d’une véritable affaire : en décembre 2017, Cathy Sénéchal, une matonne de Borgo en Corse, est accusée d’avoir donné « le baiser de la mort » à deux mafieux, en envoyant le signal de les tuer à des membres d'une organisation criminelle corse. L’autrice prend des libertés avec cette affaire, délaissant la Corse pour la région d’Aix-en-Provence. Elle explore le parcours de ces deux femmes complexes, réunies par leurs origines modestes et l’impression d’étouffer dans un quotidien millimétré. Elle s’interroge sur nos illusions, nos fantasmes de fiction, privilégiant l’axe psychologique au sensationnalisme facile. Une lecture passionnante.

Un ciel bleu comme une chaîne, Les Editions La Trace, 207 pages, 20 euros.

Framboise, quelques hypothèses sur Françoise Dorléac, d’Aurélien Ferenczi

La moitié des jumelles des Demoiselles de Rochefort, c’était elle. Dans son livre, Aurélien Ferenczi ne consacre pourtant qu’un chapitre tardif à la comédie musicale de Jacques Demy. Façon pour lui de dire que François Dorléac était bien plus que la sœur de Catherine Deneuve au regard mélancolique, au chapeau jaune et à la frange rousse. L’auteur s’essaie ici à un périlleux « exercice d’admiration », un récit au croisement du fantasme du fan, de la précision du journaliste, de la sensibilité de l’homme et du regard du cinéphile. Amateurs de biographies académiques, fuyez. L’auteur prône une subjectivité assumée. Il nous donne à voir ce qu’il perçoit d’une femme disparue bien trop jeune : il invente le nom d’un amant, rejoue les danses fiévreuses, interroge la sororité contrariée et réveille les doutes d’une très jeune actrice propulsée dans un monde d’hommes adultes. Il insiste, aussi, sur les complexes persistants d’une fille trop sévère avec son corps. « Cette présence constante de la femme sous l’héroïne est ce qui m’attire, m’émeut et me trouble », explique-t-il avant de détailler sa méthode documentaire : interviews, archives, photos de famille, visite des lieux qu’elle a fréquentés, rares rencontres avec ceux qui l’ont connue, elle ou ses proches. 
Une enquête comme un pèlerinage sur les traces d’une actrice qui raconte, plus que sa vie, une époque de cinéma. François Truffaut croise Henry Levin, Heidi croise Greta Garbo, idole absolue de Françoise Dorléac. Aurélien Ferenczi raconte La Nouvelle Vague avant qu’elle soit nommée ainsi et les couples qui défraient la chronique. « [Françoise] raconte qu’une fois, elle tournait une scène d’amour avec Jean-Pierre [Cassel], “il a voulu m’embrasser pour de bon, je n’ai pas pu m’empêcher de le griffer.” » Réjouissante plongée dans la psychée d’une étoile naissante au destin tragique. VS-U

Framboise, de Aurélien Ferenczi, Institut Lumières / Actes Sud, 176 pages, 17 euros

La promesse du large, d’Arnaud de La Grange

Aidan a grandi avec ses grands-parents dans la petite ville portuaire du comté de Cork, en Irlande. Là-bas, la mer est partout, mais il a toujours refusé de la regarder en face. Il la voit comme un cimetière, coupable d’avoir emporté sa mère et son père, quand il avait 18 mois. « J’ai grandi face à l’assassin de mes parents », dit-il.
À 26 ans, le voilà devant Le Naufrage, célèbre tableau de William Turner exposé à la Tate à Londres. Cette vision brutale le pousse à repartir sur les traces de ses parents qu’il n’a pas connus. Alors il débarque dans le village de Locmaricq en Bretagne, rencontre bientôt Manon, restauratrice de vitraux et navigatrice chevronnée. C’est poussé par l’amour qu’il va parvenir à vaincre son traumatisme enfantin et voir la mer autrement que comme un prédateur.
Qui de mieux qu’Arnaud de La Grange, actuel correspondant du Figaro à Londres mais surtout ancien officier sous contrat dans la Marine, pour nous livrer ces très belles pages sur la mer ? « En naviguant par bonne brise, le bateau filant droit, on se sent vite le maître du monde, ivre de puissance et de maîtrise du vent. Une heure plus tard, tout peut basculer. L’air qui fraîchit, trop de toile, une écoute qui lâche, la visibilité qui tombe. Les problèmes alors se relaient avec un déroutant naturel. L’environnement se fait hostile, on passe d’une paix de cathédrale au chaos d’un champ de bataille. »
Une belle enquête sur ces bouts de Bretagne où l’on trouve ces hommes taiseux aux mains rugueuses, liés par la mer et l’entraide sans faille qu’elle impose. Un récit servi par une lumineuse écriture, celle qui nous avait déjà émerveillée dans Le huitième soir (Gallimard, 2019), le précédent ouvrage d’Arnaud de La Grange. HW

La promesse du large, Arnaud de La Grange, Gallimard, 224 pages, 20 euros

Perséphone, de Caroline Bouffault

Un livre sur la communication post-mortem à lire au bord de la mer ? Absolument. Ne vous y méprenez pas, Perséphone n’est pas une relecture contemporaine littérale du mythe grec qui porte le nom de la déesse enlevée par Hadès. Dans l’imagination de Caroline Bouffault, c’est le nom de l’entreprise lancée par Rosa Campion, une startupeuse si peu effrayée par la mort qu’elle a fait des voix d’outre-tombe un véritable business. Le concept ? Ses clients enregistrent des messages, qu’ils adressent à leurs proches pour qu’ils les écoutent quand ils seront morts. « Les usagers de votre service retirent à la mort ce qui constitue sa qualité première, l'irréversibilité [...] », quitte à ralentir voire empêcher « le détricotage du lien émotionnel au défunt », lui fait-on remarquer. Certains partagent leurs rêves, des recettes de cuisine, des idées de sortie, des souvenirs, des considérations existentielles. Parfois, ils savent exactement quand le message doit parvenir à son destinataire. Libre à lui d’accepter de les écouter, ou non. 
Dans une scène saisissante, Rosa assiste aux funérailles d’un abonné très régulier. Elle prévient ses proches qu’ils recevront bientôt un signe de lui, « un e-mail qui contiendra éventuellement un fichier audio [...] des messages posthumes qui aideront ceux qui les recevront à se souvenir de lui d’une autre manière ». Grâce à son héroïne aux préoccupations très modernes -trouver des investisseurs, résoudre un piratage informatique, faire de la promo, jongler avec ses traumatismes d’enfance- et à ses deux singuliers acolytes, Caroline Bouffault traite le sujet avec une fraîcheur bienvenue. Loin des menaces bien réelles de l’IA, elle fait le pari d’une approche technologique ni déshumanisée, ni vainement mercantile. Son récit apporte ce qu’il faut d’humour et surtout, de grande lucidité, à une réflexion plus vaste sur notre rapport à la mort et à la parole. VS-U

Perséphone, de Caroline Bouffault, Fugue/ Actes Sud, 256 pages, 21 euros

Freud et le cigare fatal, de Jean-Baptiste Botul, avec la contribution de Frédéric Pagès

Comment ne pas aimer Jean-Baptiste Botul ? Philosophe titulaire d’une fiche Wikipédia, il a connu son quart d’heure de gloire en février 2010, quand le grand Bernard-Henri Lévy l’a cité dans son essai La guerre en philosophie. Pour mieux dénigrer la pensée de Kant, BHL s’est appuyé sur celle de Botul, lui qui aurait mieux qu’un autre montré comment « au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ». Or, cette colonie d’exilés allemands du Paraguay n’a jamais existé, pas plus que Botul. Il n’est qu’un simple personnage fictif inventé par l’esprit facétieux de Frédéric Pagès, agrégé de philosophie également journaliste littérature au Canard Enchaîné. Celui-ci a déjà promené son Botul dans La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant (1001 nuits, 1999), Nietzsche et le démon de midi (1001 nuits, 2004) et s’amuse cette fois de la figure de Freud.
On retrouve donc notre excellent Botul dans ce nouvel ouvrage. Le voilà en 1938, chauffeur de taxi à Rome, concepteur de la taxi-analyse, une étrange méthode thérapeutique. Son premier client est l’inventeur de la psychanalyse. Freud est alors atteint d’un cancer à la mâchoire et n’a plus qu’un an à vivre. Mais il n’a pas vraiment son mot à dire. Lors des singulières séances, la parole du patient s’efface devant celle du thérapeute. En trente courses romaines, Botul livre donc ses réflexions sur la mort, la philosophie antique, les auteurs des Lumières. Tout est matière à digression. Un livre léger et loufoque. HW

Freud et le cigare fatal, de Jean-Baptiste Botul, avec la contribution de Frédéric Pagès, Cherche Midi, 192 pages, 17 euros 90

Viens, on se parle, de Elsa Vigoureux

Quand Elsa Vigoureux a commencé ses échanges avec Omar Sy, il était lui-même absorbé par un livre. Will. L’autobiographie de Will Smith. « J’aime bien l’acteur, ça m’intéresse de voir quel homme il est. » Pour se raconter, il a choisi une forme plus originale. L’autrice prévient d’entrée de jeu : Viens, on se parle est un journal, avec ce que cela implique de partialité et d’incomplétude. S'ensuit une discussion fragmentée sur trois ans, entre appels, sms, messages vocaux, entretiens dans la cuisine ou dans un bureau. Omar Sy parle succès, racines, famille, politique et engagement entre deux anecdotes sur la promo de Tirailleurs (de Mathieu Vadepied), le Festival de Cannes ou le tournage de la série Netflix Lupin. Un fantasme d’acteur devenu producteur revient souvent : faire une adaptation cinématographique des Mystérieuses Citées d’or
Au fil de ses souvenirs, il cite son chien Tato, Kerry Washington et Michelle Obama, qui veut le rencontrer - « On dirait pas un peu un sketch, ma vie ? » Blague à part, il se révèle profondément concerné par le sort de ceux qui n’ont pas sa chance. « Le destin de ces gens m’interpelle en permanence », déclare-t-il au sujet des migrants. Omar Sy joue le jeu des questions inopinées sans se départir de sa réserve. Pas question de s’épancher s’il n’a rien de réfléchi à dire. Relances, perches tendues, relances encore… La journaliste montre le difficile recueil de la parole d’un homme sur-sollicité, dont la vie se partage entre trois continents, sans cesse en déplacement pour les tournages et qui, dans l’ouragan de la célébrité, chérit l'îlot de son intimité familiale. Quelques-uns des passages les plus touchants concernent ses enfants et son épouse, Hélène Sy. « Je n’ai rien à dire sur l’amour, j’ai tout appris avec Hélène ». Confidences rares d’une des personnalités préférées des Français les plus connectées à la marche du monde. VS-U

Viens, on se parle, de Elsa Vigoureux, Albin Michel, 288 pages, 19,90 euros

Nous, d’Evgueni Zamiatine

En 1920, l’ingénieur naval et poète russe Evgueni Zamiatine (1884-1937) écrit Nous au milieu d’une Russie plongée en pleine guerre civile. Bolchevik de la première heure, l’écrivain a eu le tort de se rapprocher des socialistes-révolutionnaires bientôt écrasés par les communistes. Le voilà contraint à l’exil. Zamiatine s’installe à Paris en 1931, où il meurt six ans plus tard. Non sans avoir légué son manuscrit, traduit en français, anglais ou tchèque. Mais l’ouvrage mettra des décennies à atteindre la Russie. Comment pourrait-il être diffusé dans son pays d'origine, tant la critique implicite du régime soviétique est patente ? 
Nous raconte l’annihilation de l’individu au profit du collectivisme le plus destructeur. Le décor est futuriste, véhicules volants, bâtiments de verre où chacun peut espionner son voisin à tout moment, nulle trace de livres. Les hommes ne sont plus que des numéros, et la société est dirigée par un « Bienfaiteur » qui exécute lui-même les condamnés en de grands sacrifices publics.
Tout est précisément réglé, chaque moment de la vie, l’existence n’accorde que quelques « heures privatives » à une sexualité strictement encadrée. Mais l’homme étant ce qu’il est, les instincts sexuels et amoureux vont vite être la source d’un petit foyer de résistance.
L’imaginaire (Gallimard) a eu la bonne idée de retraduire ce classique, l’inventeur d’un genre nouveau de la science-fiction, la dystopie. Une influence majeure pour Aldous Huxley (Le Meilleur des mondes) et George Orwell (1984). HW

Nous, d’Evgueni Zamiatine, L’Imaginaire, 336 pages, 15 euros

Le lapin de Chloé Delchini

C’est l’histoire d’un retour, celui d’Ulysse, non pas à Ithaques mais à Bécon-les-Bruyères. Une dizaine d'années qu’il n’a pas pris le Transilien pour revenir dans la ville de son adolescence et ces endroits qu’il ne pensait jamais revoir. Un collège public, la place du marché, des kebabs… S’il acceptait de revenir, c’est poussé par son amour de lycée, qui a refait surface avec un texto mystérieux. Si Ulysse a accepté de s’arracher à Paris, c’est avec cette promesse de retrouver la belle Pauline. À quoi ressemble-t-elle, dix ans après ?
Le jour du rendez-vous, Ulysse arrive très tôt. Il veut s’offrir une déambulation d’une journée dans ce Bécon-les-Bruyères qu’il ne reconnaît plus vraiment. Une flânerie poétique, drôle et pleine de nostalgie, emplie de réflexion sur notre condition humaine et les terreurs de l’âge adulte. HW

Le lapin de Chloé Delchini, Scribes, 128 pages, 18 euros