cinéma

Anatomie d'un succès, ou comment Justine Triet a conquis le monde entier

Anatomie d'une chute remporte six César ce vendredi 23 février 2024, dont celui du meilleur film. Quelle recette a permis au phénomène de Justine Triet de rencontrer un tel succès, et ce bien au-delà de nos frontières ?
Antoine Reinartz dans Anatomie d'une chute © Les Films Pellas  Les Films de Pierre
© Les Films Pelléas / Les Films de Pierre

Onze fois nommé aux César 2024, dont il ressort avec pas moins de six statuettes, cinq fois aux Oscar, Anatomie d’une chute a été récompensé aux BAFTA, aux Golden Globes, voit sa réalisatrice faire le tour du monde pour présenter ce film exigeant mais qui n’en finit pas de faire le buzz depuis sa sortie, à la fin de l'été dernier. On vous explique pourquoi en cinq bonnes raisons.

Anatomie d'une chute : un imparable savoir-faire filmique

Personne n’ira voir ce film: un couple qui se bat, un suicide, un chien qui vomit…” s’amusait Justine Triet lors de son discours de remerciements aux Golden Globes. Sur le papier, Anatomie d’une chute pouvait en effet s’avérer un peu trop austère pour devenir un blockbuster. Une héroïne peu aimable, accusée du meurtre de son mari, un chalet perdu dans les montages enneigées, un enfant malvoyant, un tribunal grisâtre, deux heures trente de durée et un casting dépeuplé de stars. Mais sur grand écran, l’ensemble devient magnétique, joué et filmé au cordeau, resserré par une narration implacable dont le verdict, lui, est clair comme de l’eau de roche – contrairement à l’innocence de sa protagoniste, qui divise les spectateurs…

Si l’on rajoute un excellent sens du montage, assuré par Laurent Sénéchal, entre autres habitué des films de Triet et d’Harari, et des plans admirables, on obtient un film de procès comme le public, averti ou non, les aime. Et ce des salles obscures aux prestigieuses remises de prix. “The Queen parmi les kings”, commente la productrice Marie-Ange Luciani en postant une photo des nominations aux Oscar. La productrice d’Anatomie d’une chute semble toujours vivre un rêve éveillé, et partage avec émotion le tour fructueux des festivals de Justine Triet.

Instagram content

This content can also be viewed on the site it originates from.

De Sandra Hüller à Swann Arlaud : un casting aussi étonnant qu’efficace

On l’a dit plus haut, pas de célébrités présentes sur cette affiche. Mais uniquement de grands acteurs et actrices, à commencer par celle qui a fait très fort avec le doublé gagnant Anatomie d’une chute et La Zone d’Intérêt – l’un des chefs-d’œuvre de l’année, voire de la décennie : l'Allemande Sandra Hüller. Le grand public, qui n’avait pas forcément vu Toni Erdmann, où elle brillait déjà par son talent en 2016, l'adore dans Anatomie d’une chute. Grâce au personnage de Sandra, écrivaine qu’on soupçonne d’avoir tué son mari, elle captive par son jeu opaque, cette présence presque malaisante et cette physicalité peu prompte au cabotinage.

Sandra Hüller dans Anatomie d'une chute © Les Films Pelléas / Les Films de Pierre

Un cabotinage dont ne se prive pas l’excellent Antoine Reinartz (qu’on avait entre autres adoré dans 120 battements par minute) dans le rôle du tant drôle que teigneux avocat général. Il est césarisé, a priori abonné aux films dit d’auteur, tout comme son adversaire à la barre, Swann Arlaud, “the sexiest lawer of French Alps”, comme l’a décrit malicieusement Justine Triet aux Golden Globes, consciente de l’engouement improbable soulevé aux Etats-Unis par le comédien français.

A lire aussi
Pourquoi Swann Arlaud, sacré meilleur acteur dans un second rôle aux César, obsède-t-il le monde entier ?

Depuis la sortie d’Anatomie d’une chute, et surtout d’une vidéo montée par une fan du film, la popularité de Swann Arlaud s’est trouvée propulsée au niveau mondial. Retour sur le parcours d’un acteur à la filmographie impeccable.

Swann Arlaud dans Anatomie d'une chute - Justine Triet

Depuis un montage réalisé sur le réseau social X par l'utilisatrice Ginafancam, tout le monde y est allé de son repost, puis de sa vidéo sur TikTok. Réaction de l’intéressé, un poil (!) déstabilisé par cette aura de sex-symbol : il ne faut pas se laver les cheveux pour qu'ils brillent – ça aussi, c’est une remarque so frenchy

X content

This content can also be viewed on the site it originates from.

Un subtil mais frappant propos féministe

Si l’enfer, c’est le couple, la femme aura toujours tort dans une société patriarcale. C’est ce que raconte Anatomie d’une chute, film de procès, film d’un procès attenté à une femme accusée d’avoir tué non seulement son mari mais aussi le père de son fils. Une femme dont on attend des larmes et des supplications. Or, elle se refuse à toute démonstration de pathos et, le sourire rare et la psyché verrouillée à double tour, assiste aux remous d’un tribunal qui a bien du mal à la juger. Les mentions concernant la bisexualité de Sandra (qui porte donc le même prénom que celle qui en joue la partition) et son refus d’éluder sa réussite au profit de l’orgueil de son époux confirment le féminisme d’Anatomie d'une chute. Lequel ne se noie cependant pas dans une posture de messages socio-politiques à transmettre à tout prix.

Que le propos d'Anatomie d'une chute s’inscrive dans le zeitgeist actuel, c’est un fait. Mais il se soustrait à un opportunisme balourd grâce à une narration qui dépasse largement le simple statut de film judiciaire, du polar ou du drame familial - ce qu'il est tout à la fois ! L'allusion de son titre à l'Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger (1959) en témoigne… Récompensé aux BAFTA et aux Golden Globes, le scénario concocté par Justine Triet et Arthur Harari opte pour la carte du minimalisme réaliste, misant sur un suspense savamment distillé durant 152 minutes. Un choix avisé, au vu des trois millions d’entrées comptabilisées à ce jour dans le monde entier.

© Le Pacte / Les Films de Pierre / Les Films Pelléas

Justine Triet, une réalisatrice so frenchy

Lorsque Justine Triet reçoit sa Palme d’Or, au Festival de Cannes 2023, beaucoup s’empressèrent de conspuer sa prise de position politique. Après avoir évoqué les manifestations face à la réforme des retraites, elle en remettait une couche : “Ce schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé éclate dans plusieurs domaines, et le cinéma n’y échappe pas…Shocking ! Le film était tué dans l’œuf, annonçait-on, il allait payer les conséquences de cette prise de parole lors de sa sortie en salles. Certains élus politiques évoquaient “l’anatomie d’un naufrage” tandis que d’autres tentaient de récupérer à leur compte les déclarations de la réalisatrice. Pas très glorieux...

Or, non seulement le bouche-à-oreille d’Anatomie d’une chute a royalement ignoré toutes les divergences politiques, mais les spectateurs anglo-saxons en sont aussi tombés raides dingue. Avant même de voir le film, nul doute qu’ils aient été sensibles au charisme de Justine Triet : look effortless, loin des robes de princesse, rouge à lèvre rouge mat en guise de maquillage, chevelure rousse allergique aux chignons apprêtés, franc-parler assorti à une élégante discrétion. Bref, la pure parisienne. Le fait qu’elle soit inséparable de son compagnon Arthur Harari, également réalisateur et scénariste, excellent acteur (notamment dans le récent Procès Goldman de Cédric Kahn), flatte les fantasmes de power couple qui vont bon train outre-Atlantique. Barack Obama ne s’y est pas trompé et a positionné Anatomie d’une chute dans son top 10 des films de 2023.

A lire aussi
Les 4 films de Justine Triet à voir absolument

Retour sur les coups d'éclats de la réalisatrice française, lauréate des César de la meilleure réalisation et du meilleur film pour Anatomie d'une chute ce vendredi 23 février 2024.

sibyl virginie efira
© John Salangsang / Golden Globes 2024 / Getty Images

Snoop (ou Messi) : un chien ultra performant

At last but not least, la prestation du boarder collie Messi, alias Snoop, a contribué au succès d'Anatomie d'une chute. Le chien guide du fils de Sandra Hüller, interprété par le formidable Milo Machado-Graner, a remporté la Dog Palm au Festival de Cannes et a conquis les réseaux sociaux. Au déjeuner des nommés des Oscar, où il était invité, Messi a été submergé par les demandes de selfies, a posé avec Ryan Gosling, Olivia Wilde ou Billie Eilish. La critique en parle comme de la nouvelle sensation de Hollywood et on va même l'interviewer sur les tapis rouges.. Une attention méritée puisque Messi réussit à feindre, au fil d'Anatomie d'une chute, la joie, la tristesse, l'angoisse, le doute, la maladie voire l'agonie. À quand la masterclass à l'Actor's Studio?

X content

This content can also be viewed on the site it originates from.

Plus de culture sur Vogue.fr :
BAFTA 2024 : découvrez le palmarès complet de la 77e édition
César 2024 : Judith Godrèche prendra la parole lors de la 49e cérémonie
Shirley Chisholm, première femme noire élue au Congrès, est la muse d’un film Netflix

Plus de Vogue France en vidéo :