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La série The Crown a-t-elle changé notre vision de la famille royale britannique ?

Après trois saisons (la quatrième et la cinquième se profilant à l’horizon), huit Emmy Awards, et deux scandales dans la famille royale, nous nous demandons comment la série Netflix a modifié la manière dont le monde perçoit la monarchie.
The Crown  Elizabeth
The Crown - ElizabethRobert Viglasky / Netflix

Le 16 novembre 2019, le Prince Andrew est apparu dans l’émission Newsnight de la BBC pour répondre de son rôle dans l’affaire Jeffrey Epstein. L’interview d’une heure jugée unanimement calamiteuse a conduit le Duc d’York à renoncer à ses fonctions officielles. Mais ces retombées coïncidaient également avec un autre événement qui mettait la famille royale sous les projecteurs : moins de 12 heures après la diffusion de l’interview, la troisième saison de The Crown débarquait sur Netflix. Cette collision entre la fiction sous la forme d’une série magnifiquement réalisée et la réalité de ce désastre de communication avait de quoi donner le tournis. Dans un tweet devenu viral depuis, l’acteur de la série David Schneider a écrit au sujet de l’interview: « je ne sais pas qui a écrit cet épisode de The Crown, mais c’est complètement grotesque et pas du tout crédible. #PrinceAndrew. »

Ce brouillage des frontières entre réalité et fiction, The Crown l’a opéré dès la première saison. Les déroulés des événements ont été changés, les incidents ont été embellis et les conversations privées réinventées mais pour Peter Morgan, le créateur de la série, l’objectif a toujours été d’atteindre une authenticité émotionnelle « On travaille énormément pour recréer la tonalité de l’époque », explique Robert Lacey, consultant historique de The Crown qui avait auparavant travaillé avec Morgan en 2006 pour le film The Queen. 

« Certains ont ergoté sur l’exactitude des événements, mais l’important, c’est d’être fidèle à l’esprit du peuple et de l’institution ». Cette stratégie a été payante auprès du public, 73 millions de foyers ont suivi la saga royale depuis le début de sa diffusion en 2016. Beaucoup d’entre eux estiment d’ailleurs que celle-ci lève enfin le voile sur la famille souveraine, pour le meilleur ou pour le pire.

La force et le stoïcisme

Cette impression d’intimité embarrassante traverse la série depuis sa scène d’ouverture, dans laquelle on voit Jared Harris, qui joue un Roi George VI en difficulté, cracher du sang dans Buckingham Palace. Sa vulnérabilité physique et sa mort finale d’un cancer du poumon occupent les deux premiers épisodes, dépeignant un souverain plus souvent vu sur les portraits officiels ou sur les billets de banque comme un simple mortel. «Il y a eu une génération, et même un peu plus, pour laquelle il était de rigueur de se moquer de la monarchie, mais Peter a montré qu’on pouvait prendre ce sujet au sérieux. Le respect qu’éprouvent les gens découle d’une nouvelle compréhension des enjeux de ce rôle ».

The Crown Season 1Alex Bailey/Netflix

En humanisant la figure de George VI, la série lui a permis de gagner la sympathie et l’admiration du public, particulièrement lorsqu’on le voit persévérer envers et contre tout dans son office malgré sa santé défaillante. Lorsque sa fille Élisabeth (Claire Foy) hérite du trône à la fin du deuxième épisode, la déférence du public se reporte sur elle. Le personnage joué par Claire Foy parle ouvertement de la pression que représente la vie publique, expliquant à Édouard VII (Alex Jennings) dans l’épisode trois : « Tu ne penses pas que j’aurais préféré grandir loin des projecteurs, loin de la cour et du regard public ? Une vie plus simple, plus heureuse, de mère, de femme et de femme anglaise ordinaire de la campagne ? ». Rendre ces difficultés visibles donne un éclat d’autant plus fort à ses accomplissements : au cours des trois saisons suivantes, Claire Foy et l’actrice qui lui a repris le rôle Olivia Colman sont toutes deux montrées dans leurs traversées des bouleversements politiques, des catastrophes naturelles et des crises constitutionnelles avec une ténacité inégalable. Si les opinions favorables des Britanniques sur leur souveraine sont au beau fixe depuis 2016, la série a consolidé sa position de figure de proue.

The Crown Season 1Alex Bailey/Netflix
The CrownSophie Mutevelian / Netflix

Héritages réévalués

L’impact de The Crown sur les jeunes générations est également significatif, et plus particulièrement dans leur nouvelle appréciation de la Princesse Margaret, décédée en 2002. Éreintée par ses contemporains comme Nancy Mitford et Cecil Beaton pour sa «  normalité excessive » et sa « vulgarité » la princesse a pris, à l’écran l’étoffe d’un personnage tragique. Après le refus de l’Église Anglicane de la laisser épouser Peter Townsend, éclipsée par la Reine, sa relation avec Antony Armstrong-Jones se désintègre. La performance d’Helena Bonham Carter en Margaret plus âgée et plus désabusée révèle le potentiel gâché d’une femme qui avait longtemps rêvé des feux de la rampe.

The CrownDes Willie / Netflix

La réévaluation de l’héritage du Prince Philippe a également marqué la série. Souvent sur la ligne de touche dans la première saison, le Duc d’Édimbourg (incarné par Matt Smith) prend de l’ampleur dans la deuxième saison, ponctuée de flash-back de son enfance turbulente. De la crise psychotique de sa mère à la mort de sa sœur dans un accident d’avion en passant par ses années d’enfance dans un internat violent, The Crown nous offre un portrait complexe d’un prince souvent réduit à une caricature, tendance parfois accentuée par ses commentaires polémiques et son implication dans un accident de voiture en 2019. Si son amour de la gaudriole est un leitmotiv du scénario de la saison trois, le personnage plus méditatif interprété par Tobias Menzies s’éloigne de sa personnalité publique grinçante.

TC3_SM_050718_238A3939.cr2Sophie Mutevelian

L’histoire récente

Les membres de la famille royale du passé, dont les conflits personnels sont moins familiers du public, sont peut-être plus faciles à interpréter en tant que personnages. Mais alors que la série s’approche du présent, il devient de plus en plus difficile de réécrire des récits déjà connus. C’est la fille de la Reine, la Princesse Anne, jouée par une Erin Doherty pleine d’humour qui est la grande bénéficiaire de la saison 3. Elle s’avère être résolument moderne, se promenant dans le palace avec ses bottes de cavalières, chantant du David Bowie dans sa voiture, et ayant une relation avec Andrew Parker Bowles, futur mari de Camilla Shand (Camilla, étant bien sûr désormais la Duchesse de Cornouailles et la femme du Prince Charles.) 

The CrownDes Willie / Netflix

Dans sa jeunesse, Anne avait été surnommée par la presse la « Princesse boudeuse» du fait de ses manières austères, mais après la diffusion de la saison sur Netflix, elle reçut une pluie de louanges. The Times la désigna comme la « membre de la famille royale la plus sous-évaluée », The Telegraph en fit une « icône du style » quand The Guardian se demandait si elle était « le visage le plus acceptable de la monarchie ». Dans les mois qui ont suivi, la princesse Anne a commencé à être plus suivie par les médias et sa popularité a encore grimpé en flèche après qu’une vidéo l’ait montré faisant une grimace à la Reine qui lui demandait de venir saluer Donald Trump à Buckingham Palace.

Le portrait de son frère, le Prince Charles, a toutefois produit un autre genre de réactions. Dans la saison trois, l’interprétation de Josh O’Connor est teintée de pathos, montrant un prétendant au trône introverti et à la recherche d’un rôle qui ait du sens. L’épisode six, Tywysog Cymru, est certainement le plus triste, montrant le Prince Charles en séjour à Aberystwyth pour y apprendre la langue galloise avant d’être investi comme Prince de Galles. Après l’événement, il dit à la Reine que sa voix compte, ce à quoi elle répond que « personne ne veut l’entendre ».

The CrownColin Hutton / Netflix

Ce moment provoque certes l’empathie du spectateur, mais est rapidement nuancé par l’épisode suivant qui dépeint la manière dont il courtise Camilla (Emerald Fenell), une relation qui reste très clivante chez les Britanniques, en dépit de la tentative de la série de les présenter comme des amoureux maudits. Pour certains, Charles reste avant tout connu pour son mariage difficile avec Diana et son aventure de plusieurs dizaines d’années avec Camilla, un scandale qui s’est étalé sur les unes des journaux, a donné lieu à des coups de fil piégés et des interviews télé explosives. Comment la série The Crown peut-elle réinterpréter une période de l’histoire qui est encore très présente dans l’imaginaire du public ? Réponse sera donnée dans la saison quatre, dans laquelle Emma Corrin interprète Diana dans sa jeunesse.

The CrownColin Hutton / Netflix
Actress Emma Corrin seen on the set of Netflix's 'The Crown' filming scenes as the late Princess Diana for Season 4 of the Royal drama series.Josh O'Connor will be playing the role of Diana's husband, Prince Charles.Pictured: Emma CorrinRef: SPL5120649 061019 NON-EXCLUSIVEPicture by: GTres / SplashNews.comSplash News and PicturesLos Angeles: 310-821-2666New York: 212-619-2666London: +44 (0)20 7644 7656Berlin: +49 175 3764 [email protected] Arab Emirates Rights, Australia Rights, Canada Rights, Denmark Rights, Egypt Rights, Ireland Rights, Finland Rights, Israel Rights, Jordan Rights, South Korea Rights, Lebanon Rights, Norway Rights, New Zealand Rights, Qatar Rights, Saudi Arabia Rights, South Africa Rights, Singapore Rights, Sweden Rights, Thailand Rights, Turkey Rights, Taiwan Rights, United Kingdom Rights, United States of America RightsGTres / SplashNews.com

Crises contemporaines

Les inconditionnels de la série qui espéraient que l’interview du Prince Andrew ou que la décision du Prince Harry et de Meghan Markle de renoncer à leurs fonctions officielles de membres de la famille royales seraient évoquées par la série seront déçus. Le 31 janvier 2020, Morgan a confirmé que la cinquième saison de la série, qui couvre la fin des années 1990 et le début des années 2000 serait la dernière. Sans prise sur ces crises récentes, comment la série va-t-elle pouvoir affecter notre perception de ces dernières et de l’institution royale dans son ensemble ? Avoir disséqué les difficultés auxquelles la famille royale est confrontée permettra-t-il aux spectateurs et spectatrices de The Crown de faire preuve de plus d’empathie face à la décision du Duc et de la Duchesse de Sussex ? « Je pense que The Crown a pu jouer un rôle dans la mauvaise réception de la décision de Harry et Meghan, nous répond Lacey. Certes, le public a vu les aléas de la fonction, mais The Crown montre également qu’appartenir à la famille royale consiste essentiellement à devoir s’occuper de choses qu’on ne souhaite pas faire ».

CAPE TOWN, SOUTH AFRICA - SEPTEMBER 24: (UK OUT FOR 28 DAYS) Prince Harry, Duke of Sussex and Meghan, Duchess of Sussex attend Heritage Day public holiday celebrations in the Bo Kaap district of Cape Town, during the royal tour of South Africa on September 24, 2019 in Cape Town, South Africa. (Photo by Pool/Samir Hussein/WireImage)Pool/Samir Hussein

Pour finir, l’image glamour que The Crown nous présente pourrait permettre d’assurer l’avenir d’une institution qui traverse un moment d’incertitude. Un récent sondage YouGov montre que 47 pour cent des Britanniques estiment que les actions du Prince Andrew ont dégradé la couronne. Pendant ce temps, le taux de popularité de Harry et Meghan Markle plonge. Toutefois, une autre enquête estime que 62 pour cent des Britanniques pensent que la Monarchie est nécessaire. « Le triomphe de Peter Morgan, c’est d’avoir réussi à rapprocher émotionnellement les spectateurs de la famille royale, sans pour autant diminuer le symbole. Cette compréhension humaine ne fait qu’augmenter la fidélité et la croyance des spectateurs envers The Crown. Une institution incompréhensible est rendue plus humaine et personne n’aurait pu prévoir ce résultat ».

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