Aller au contenu

Protectorat

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le protectorat est un régime politique constituant l'une des formes de sujétion coloniale. Il diffère de la colonisation pure et simple en ce que les institutions existantes, y compris la nationalité, sont maintenues sur un plan formel, l'État protecteur assumant la gestion de la diplomatie, du commerce extérieur et éventuellement de l'armée de l'État sous protectorat.

Le terme de « protectorat » peut être employé de manière polémique, pour désigner soit des dépendances et territoires à souveraineté limitée, soit des régimes politiques considérés comme étant sous l'influence étroite d'États plus puissants : on parle dans ce cas de « gouvernements fantoches ».

Indirect rule britannique et décolonisation

[modifier | modifier le code]

Les Britanniques recoururent abondamment à ce système d'indirect rule pour administrer leur immense empire colonial. Il était en effet plus économique de laisser en place des institutions existantes et d'y ajouter un ou des « conseiller(s) » britannique(s) que de les remplacer par une administration coloniale. À la décolonisation, les États princiers de l'empire des Indes furent intégrés de gré ou de force dans les nouvelles entités, Inde et Pakistan, sauf le Sikkim (protectorat indien jusqu'à son annexion pure et simple en 1975) et le Bhoutan (de même statut que le Sikkim, mais qui a finalement accédé à l'indépendance en 1971). Le Cachemire ne fut pas immédiatement annexé non plus, il fut occupé militairement par l'Inde et annexé formellement en 1957 seulement, la partie occupée par le Pakistan restant un État indépendant de jure, l'Azad Cachemire (Cachemire libre), qui peut être considéré comme un protectorat dépendant du Pakistan, de même que les territoires du Nord, Gilgit et le Baltistan.

Il en fut de même en Afrique subsaharienne, avec deux exceptions : le protectorat du Basutoland, une enclave en Afrique du Sud, devenu royaume indépendant en 1966 sous le nom de Lesotho, ainsi que celui du Swaziland (1968), dans la même région. Le Bechuanaland, toujours en Afrique australe, accéda pour sa part à l'indépendance en tant que république en 1966 sous le nom de Botswana, mais avec pour président l'héritier de la famille royale précédemment protégée, Seretse Khama.

Dans l'océan Pacifique, le protectorat des îles Tonga a également accédé à l'indépendance, en 1970, sans modifier ses institutions.

Dans la péninsule arabe, à l'exception du Yémen du Sud (ex-Protectorat d'Aden et Colonie d'Aden, Fédération des émirats arabes du Sud, Protectorat d'Arabie du Sud et Fédération d'Arabie du Sud), les protectorats britanniques ont accédé à l'indépendance, soit isolément (Koweït en 1961, et en 1971 Qatar, Bahreïn et Oman), soit en tant que fédération (Émirats arabes unis en 1971).

Les Britanniques tentèrent au moins trois expériences de fédérations de protectorats, dont une avorta, la Fédération des émirats arabes du Sud en 1959, devenue Fédération d'Arabie du Sud en 1962 mais dissoute dans la nouvelle république populaire du Yémen du Sud en 1967, alors que les deux autres fédérations de monarchies, la Malaisie et les Émirats arabes unis, existent encore actuellement en tant qu'États indépendants, la première comptant neuf monarchies et quatre territoires, la seconde sept monarchies.

Indirect rule néerlandais

[modifier | modifier le code]

Dans les Indes néerlandaises, les Pays-Bas utilisaient le même système que les Britanniques, avec de nombreux protectorats, qui furent intégrés dans la république d'Indonésie par la proclamation de l'indépendance de 1945.

Protectorats français

[modifier | modifier le code]

La France avait déjà imposé de fait son protectorat aux évêchés de Metz, de Toul et de Verdun en 1552. Ces trois pays furent intégrés au royaume de France et l'état de fait fut reconnu officiellement par le Saint-Empire par les traités de Westphalie en 1648. En 1736, la France imposa aux duchés de Lorraine et de Bar un souverain fantoche en la personne du roi détrôné de Pologne Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV, avant d'annexer les deux duchés en 1766.

Au XIXe siècle, la plupart du temps, la France préféra un système d'administration directe, éliminant ou dévalorisant les anciennes monarchies indigènes, sauf dans trois régions : l'Indochine (Annam, Cambodge, Laos, Tonkin), le Maghreb (Maroc et Tunisie) et Madagascar (jusqu'en 1897 seulement)[1]. Toutefois, même dans ces cas, le caractère jacobin et centralisateur de la Troisième République s'accommodait mal du régime d'administration indirecte qu'implique le protectorat et à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, « les territoires coloniaux comme les États protégés se trouvaient placés de droit ou de fait sous un régime uniforme par l'esprit, bien que nuancé dans ses applications, le régime d'administration directe. La France y exerçait toutes les responsabilités et tous les pouvoirs »[2].

Après la Seconde Guerre mondiale, la France exerce également un protectorat sur la Sarre de 1947 à 1956, avant que celle-ci ne soit rattachée à l'Allemagne de l'Ouest.

Liste des protectorats français au XIXe siècle et au XXe siècle
Protectorat Dates Traité(s)
Tahiti -
Cambodge - Traité d'Oudong 11 août 1863[3]
Tunisie - Traité du Bardo (1881)
Madagascar -
Annam - Traité de Hué (1883), traité de Hué (1884), traité de Tianjin (1885)
Tonkin - Traité de Hué (1883), traité de Hué (1884), traité de Tianjin (1885)
Grande Comore 1886-1912 Traité du 6 janvier 1886.
Mohéli 1886-1912
Anjouan 1886-1912
Wallis-et-Futuna 1888-1961
Laos -
Dahomey 1894-1900
Maroc - Traité de Fès (1912)
Sarre - Traité sur la Sarre (1956)

Certains analystes, dont le journaliste Stephen Smith (Libération, Le Monde), se sont demandé si la France, et par la suite les républiques indépendantes, n'ont pas commis une erreur en excluant du système politique moderne les monarques (l'empereur mossi en Haute-Volta par exemple) et autres chefs coutumiers qui disposaient d'une grande légitimité aux yeux de la population et ont été délaissés comme un reliquat d'un passé précolonial à éradiquer. L'élimination de ces anciennes élites au profit d'élites politiques recrutées parmi les anciens fonctionnaires coloniaux civils et militaires aurait constitué un facteur non négligeable d'instabilité politique dans ces nouveaux États indépendants[réf. nécessaire].

Fin des protectorats

[modifier | modifier le code]

Le régime juridique du protectorat n'existe plus officiellement, tous les protectorats ayant soit été intégrés au sein de nouvelles entités, soit accédé à l'indépendance.

Le régime de protectorat ne doit pas être confondu avec le régime du mandat, appliqué, après la Première Guerre mondiale, à certains anciens territoires ottomans (Syrie, Liban, Palestine, Transjordanie, Irak) et colonies allemandes (Togo allemand divisé en Togo français et britannique, Cameroun allemand divisé en Cameroun français et britannique, Sud-Ouest africain, Ruanda-Urundi, Tanganyika, îles Marshall, îles Samoa occidentales, Nauru), au nom de la Société des Nations (SdN), et après 1945 sous le nom de tutelle par l'Organisation des Nations unies (ONU), qui ajouta aux mandats sur les anciennes colonies allemandes les colonies italiennes de Libye (Territoire du Fezzan et Administration militaire britannique en Cyrénaïque et Tripolitaine)[Information douteuse], d'Érythrée et de Somalie (alors devenu Territoire sous tutelle de la Somalie), ainsi que des colonies japonaises en Micronésie, le Territoire sous tutelle des îles du Pacifique (actuels États des Îles Mariannes du Nord, des Palaos, des îles Marshall et des États fédérés de Micronésie).

Autres utilisations du terme protectorat

[modifier | modifier le code]

Les États fantoches pendant la Seconde Guerre mondiale

[modifier | modifier le code]

Durant la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne nazie, l'empire du Japon et l'Italie fasciste mettent en place dans les pays occupés une série de régimes collaborateurs s'appuyant de manière plus ou moins forte sur des responsables politiques ou militaires locaux, ou bien pratiquant une administration militaire directe.

Dès 1931, le Japon annexe la Mandchourie pour y installer le régime du Mandchoukouo. Au début de la seconde guerre sino-japonaise, le Japon met en place en Chine une série de gouvernements collaborateurs, unifiés en 1940 sous la houlette du régime de Nankin. L'empire du Japon poursuit cette politique après son entrée officielle dans le conflit mondial.

En Europe, l'Allemagne nazie démembre la Tchécoslovaquie pour y installer le protectorat de Bohême-Moravie, correspondant à l'actuelle Tchéquie, ainsi qu'un État-satellite, la Slovaquie de Jozef Tiso.

L'Italie fait de même en annexant l'Albanie et en la transformant en royaume sous influence italienne. Durant le conflit, en Yougoslavie, l'Italie favorise la création de l'État indépendant de Croatie.

Le maintien par l'Allemagne nazie de régimes collaborateurs sous influence plus ou moins étroite est une caractéristique majeure du conflit mondial.

Les régimes communistes

[modifier | modifier le code]

Durant la guerre froide, plusieurs régimes sont mis en place en Europe de l'Est, sous influence plus ou moins étroite de l'Union soviétique. L'influence soviétique ou chinoise se fait également sentir de manière plus ou moins prononcée dans certains régimes politiques asiatiques, africains ou sud-américains.

L'influence française en Afrique après la décolonisation

[modifier | modifier le code]

Plusieurs des nouveaux États indépendants issus de l'Afrique-Occidentale française et de l'Afrique-Équatoriale française ont été dans une certaine mesure des protectorats déguisés, la politique française s'étant inspirée du modèle britannique de l'indirect rule ; c'est notamment le cas pour des pays comme le Tchad ou le Gabon, et dans une certaine mesure pour la Côte d'Ivoire, où la présence de l'armée française, de « conseillers », ainsi que le contrôle économique partiel de grandes sociétés françaises ont notablement contribué au maintien des gouvernements en place.

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. « Protectorats et mandats français », sur Bibliothèque diplomatique numérique (consulté le )
  2. Georges Catroux, L'Union française, son concept, son état, ses perspectives, Politique étrangère, 1953, volume 18, numéro 4, p. 235.
  3. « Traité d'Oudong » (consulté le )

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]