C’est sans doute une des forêts tropicales les plus surveillées au monde. Sur l’île Barro Colorado, située dans le lac artificiel Gatun du canal de Panama, un rectangle de 1 000 mètres sur 500 mètres a fait l’objet en 1982 d’un recensement exhaustif des arbres et arbustes, à partir de 3 mètres de hauteur, renouvelé tous les cinq ans, et même tous les trois ans depuis 2015. Les scientifiques disposent ainsi d’une base de données unique sur plus de 200 000 individus, leur espèce, leur taille, leur dispersion, leur évolution, etc. Comme toutes les forêts tropicales, Barro Colorado dispose d’une incroyable variété d’essences, avec plus de 300 espèces différentes dans cette seule parcelle – l’ensemble des forêts européennes en compte 450 en tout.
Depuis les années 1970 et les travaux de deux écologues américains, Daniel Janzen et Joseph Connell, on sait que cette spécificité s’explique par un phénomène de répulsion entre deux arbres d’une même espèce. En effet, les parasites d’un individu (champignons, bactéries ou petits insectes) s’attaquent aux jeunes pousses issues de ses graines dans un rayon rapproché, ce qui laisse toute leur place aux plantules des autres espèces pour s’épanouir. Dans les forêts tempérées se produit l’inverse : les mycorhizes aident l’espèce la plus résistante à s’imposer au détriment des autres sur une même niche écologique.
Au-delà du rayon de dispersion naturelle
De nombreuses études ont permis depuis de démontrer et de mieux comprendre « l’effet Janzen-Connell », selon lequel une pousse aura d’autant moins de chance de prospérer que la densité d’arbres de la même espèce est importante. La nouveauté de celle publiée dans Science, le 4 août, par une équipe internationale de chercheurs est qu’ils ont mesuré cet effet répulsif entre congénères bien au-delà du rayon de dispersion naturelle des graines. Et, surtout, découvert que ce phénomène d’exclusion ne concerne pas que les jeunes plantules, mais joue aussi contre les arbres plus matures.
Pour arriver à cette conclusion, Michael Kalyuzhny, postdoctorant au département de biologie de l’université d’Austin, au Texas, et premier signataire de l’article, a bâti un modèle original comparant la dispersion observée des espèces dans cette parcelle de 50 hectares avec celle d’une dispersion aléatoire des graines autour des arbres matures existants. « Nous avons été réellement surpris par les résultats », explique Annette Ostling, professeure associée de biologie des systèmes à Austin, cosignataire de l’article. Et de citer le cas du Dipteryx oleifera à fleurs pourpres : « La distance entre un arbre adulte et son voisin le plus proche est 5,5 fois plus grande que prévu en fonction de l’endroit où tombent les graines, et chaque arbre n’a que 2 % des voisins attendus à moins de 20 mètres. »
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